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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

Les textes qui composent ce journal ont été écrits au fil des années (de 2009 à 2020) pour différentes occasions : colloques, conférences, articles de journaux, formations, etc. ou pour générer des débats sur divers réseaux sociaux. Ils relatent ma vie aux côtés de Théo et mon continuel apprentissage de son monde autistique. 

 

Les chapitres sont thématiques, mais englobent, dans leur narration, l’entièreté de notre quotidien. C’est pourquoi j’ai pris le parti de répéter certaines anecdotes afin que les sujets évoqués puissent s’inscrire dans un contexte précis. 

Il n’y a pas à proprement parler de chronologie, si ce n’est celle de l’écriture. Il est important de se souvenir que les situations décrites font partie du passé. Ce sont des vignettes d’un moment particulier. Sur bien des points, Théo a progressé de manière vertigineuse. 

 

Je tiens à mentionner qu’il ne s’agit nullement d’un ouvrage scientifique. Je ne suis pas en mesure d’expliquer ou d’analyser l’autisme, d’ailleurs, je ne pense pas que cela soit possible ni même souhaitable. Cet ouvrage ne fait état que de ce que j’ai pu vivre aux côtés de mon fils et de ce qu’il m’a semblé percevoir de son monde particulier et passionnant.   

Pour commander le livre, il vous suffit de vous diriger vers le site  :  The Book-Edition  

 

Le livre est broché, au format A5, c’est-à-dire d'une hauteur de 21 cm et d'une largeur de 14,8 cm et possède 166 pages.

Il coûte 17 € auxquels il faudra rajouter les frais postaux qui dépendront bien sûr du nombre d'exemplaires commandés et des modalités d'envoi que vous aurez choisies. 

 

   

Préface

Qu’est-ce qui fait de nous une personne à part entière ? Comment pouvons-nous déterminer notre place au monde et nous sentir à l’abri en notre for intérieur ? Au plus loin que remontent mes souvenirs, il semble que je savais qui j’étais et qui je ne voulais pas être, même si parfois, au sein d’une famille nombreuse très extravertie j’ai pu me perdre un peu. De la même manière, je n’ai jamais eu à me poser de questions sur l’identité de mes enfants, tant j’avais la certitude qu’ils avaient su se définir rapidement. 

Et puis Théo est arrivé dans notre vie et j’ai commencé à m’interroger. Sommes-nous juste ce que nous sommes ? Ou également ce que les autres admettent de nous ? À moins que nous ne fassions que naviguer dans cet espace flou entre nous-mêmes et les autres. Incapable de trouver une réponse satisfaisante, j’en ai conclu que le plus important était de lui permettre avant toute chose de se découvrir en lui-même. 

Qui est-il ? Dans son cocon, dans son silence, dans ses cris, ses angoisses, ses peurs, ses colères, sa solitude, son repli, sa beauté, sa poésie, son unicité, sa particularité ? Qui est-il vraiment ? Il nous fallait répondre à cette question pour être en mesure d’aller à sa rencontre, pour ne pas le perdre en route, pour ne pas le recouvrir d’erreurs et de rêves inadaptés. 

Qui est-il dans ce monde rapide, bruyant, odorant, surpeuplé ? Qui est-il également dans cette famille bavarde et recomposée ? Qui est-il hors de mes bras qu’il repousse et de ma tendresse qu’il refuse ? 

Le repli silencieux de Théo s’est alors transformé en une bénédiction, nous obligeant à le regarder vraiment et à ralentir la marche afin d’être en mesure de cheminer à ses côtés. Ce regroupement sur lui-même nous a contraints à ne pas le perdre dans le flux de nos habitudes et de nos idéaux. 

Et puis il est revenu à la parole, il a appris le goût de l’autre, le son de l’autre, l’odeur de l’autre. Au prix d’efforts incessants, dont probablement nous n’aurons jamais l’idée réelle, il a su dessiner le contour d’une personnalité suffisamment stable afin de se mêler à nous sans s’égarer, sans disparaître. 

Aujourd’hui, sans aucun doute, il est, et il sait qui il est. Il est cet adolescent incroyablement gentil, attentionné, conscient du monde. Il est ce jeune homme avec des rêves, pour lui et pour la société dans laquelle il vit ; avec des convictions aussi… politiques, sociales, humaines. Dans l’intimité de sa chambre, dans le confort sécuritaire de notre maison, dans la chaleur constante de notre famille, il sait qui il est, et je le vois franc, beau, entier. 

Mais il est tout autant ce qu’il a construit dans ses mondes de jeu, codifiés et complexes, dans lesquels il navigue depuis tant d’années. Un univers aussi réel que l’autre, aussi important. Plus peut-être. 

Un jour, il m’a avoué pleurer parfois en se couchant, parce qu’il avait le sentiment qu’on attendait quelque chose de lui, qu’il ne pouvait pas donner, et que cela lui faisait peur. 

- J’oublie tout ça lorsque je suis dans mes mondes de jeu, m’a-t-il dit. J’y suis bien, je sens que j’ai ma place. 

Et puis à l’occasion, il accepte de sortir avec moi. Dans les magasins, au cinéma, lors de colloques ou de conférences, chez des amis qu’il ne connait pas vraiment. Et je vois ses contours s’atténuer, se flouter. Sa voix et son regard se dispersent, sa présence recule. Il n’est là qu’à moitié, dans l’attente… mais de quoi ? Je ne sais pas vraiment. Peut-être dans l’attente de retrouver ses murs, son refuge… comme le complément d’un corps ou d’une identité qui n’est pas encore en mesure de se confronter à la société complexe. 

Dans la famille, au sein de son école, et également avec les membres de son club de plongée, Théo est présent, si bien dessiné qu’il est impossible de ne pas le voir, et surtout, de ne pas l’aimer. Tant de gens l’aime Théo ! Mais au-delà de ces mondes qu’il a validés et qui l’ont validé en retour, Théo pourra-t-il vraiment être lui-même ? Qui le recevra ainsi, hors les codes, hors les normes ? Qui approuvera son importance ? Son excellence ? 

Je voudrais pouvoir redessiner le monde à sa mesure et non avoir à lui enseigner de se conformer au monde démesuré. Mais je ne suis que sa mère bien sûr. Théo ne m’appartient pas. Ce n’est pas à moi de dire qui il est, et c’est là toute la difficulté, la douleur et la peur. 

Cette peur est à moi et ne doit pas être la sienne. 

Comme pour tous les enfants me direz-vous ! C’est ce qu’on me répond tout le temps. 

Mais non, sachez-le, et c’est l’injustice la plus insupportable. Le comparer. Car rien ne ressemble à l’autisme, si ce n’est l’autisme. 

Rien ne ressemble à Théo, si ce n’est Théo. 

  

Et c’est cela que je vais vous conter. 

Avec toi 

Enfant autiste, le journal d'une mère   

Le rêve
Billet écrit en juin 2010 — Théo a 6 ans et 4 mois. 

  

 Théo au petit déjeuner. 

– Maman, tu écoutes ? Je vais te dire une histoire. J’ai regardé dans mon lit, mais c’est pas la télé ! C’est mon histoire, mais c’est pas moi qui voulais. 

Je le regarde, dans son petit pyjama, les cheveux en bataille, le nez dans son bol de céréales. 

– Mhomhé mgan mohhhhhies… 

– Avale ce que tu as dans la bouche mon loulou ! Je ne comprends rien. 

Grand sourire plein de lait qui dégouline sur le pyjama rouge et mouillé. Nous ne sommes pas sortis d’affaire. 

 – Alors mon bonhomme, c’est quoi cette histoire, c’est un rêve que tu as fait ? 

–  C’est quoi un rêve ? 

– Tu sais ! Je t’en ai déjà parlé. C’est quand tu dors et qu’une histoire se passe dans ta tête. Une histoire souvent bizarre, où les choses ressemblent à ce que tu connais, mais sont un peu différentes aussi. 

–  Ah oui ! Un rêve… c’est ça mon histoire, un rêve de quand je dors. 

–  C’est bien ! C’est la première fois que tu te souviens d’un rêve ! 

– Oui… non ! Des fois je sais mon rêve, mais je ne sais pas le dire. 

– Ok, je comprends. Alors ? Ton rêve ? 

–  Mon rêve ? 

–  Celui de cette nuit ! Tu as dit que tu allais me le raconter. 

–  Je suis tombé dans les orties. 

–  Oh mince ! Mais quand ça  ? Tu ne m’as pas dit ! Tu as eu mal ? 

–  RRR rrrr RRR… 

Rire dégoulinant de lait à nouveau. 

–  Mais non ! Dans mon rêve ! Bêtise maman ! 

–  Oups ! Bon, alors, continue de me raconter ton rêve. 

–  On était tous là, près des orties, là en bas, tu vois ? 

–  Oui. En face de chez Laura ? 

–  Et on est tous tombés dedans ! Tous ! Et Toxi aussi ! (Toxi est le petit Jack Russell de nos voisins) 

–  Mince alors ! Et ensuite ? 

–  Ensuite quelque chose est sorti du nez de Toxi, mais je sais pas quoi. 

 Silence… 

–  Maman… c’est quoi qui sort du nez des chiens quand ils tombent dans les orties ? 

–  C’est un rêve Théo. Ce qui se passe dans les rêves n’est pas la réalité. 

–  C’est quoi la rélaité ? 

–  La ré-a-li té ! La réalité, c’est ce qu’on vit tous les jours, toi, moi, tes frères et sœurs, tout le monde. C’est ce qui se passe dans notre vie, pour de vrai. 

Silence… 

– Mais c’est la ralalité que je fais un rêve ! 

–  Oui, c’est la réalité de rêver, mais ce qui se passe dans le rêve n’est pas réel. 

–  C’est quoi réel ? 

–  Ce qui est réel, c’est tout ce qui est dans la réalité. Les rêves ne sont pas la réalité, ils sont comme dans tes dessins animés par exemple. Dans tes dessins animés, les animaux parlent. Est-ce qu’ils parlent dans la réalité ? 

– Oui ! Euh… non en fait. 

Silence… 

–  Ce serait bien que Toxi me parle ! 

–  Ah bon ? Et pourquoi ? 

– Il pourrait me dire ce qui sortait de son nez ! Bon, là, j’ai plus envie de te raconter mon rêve, je dois aller jouer ! 

Hop ! Le bol dans l’évier et le voilà parti pour de nouvelles aventures ! Et moi ? Je me suis préparé un litre de café… avec le sourire accroché derrière les oreilles. 

Extraits

28 juin 2011 

  

    « Pourquoi les autres ont peur de moi » ? Demande Théo à son grand frère qui ne sait quoi répondre tant cela l’attriste. 

C’était lors d’un vide-grenier et pour la deuxième fois dans l’après-midi. Théo s’était fait refouler par des enfants, à tel point que nous avons dû intervenir. 

« Pourquoi je suis autiste maman ? Je ne veux pas être autiste. » 

Les interrogations fusent quotidiennement. Viennent-elles de lui ? Que se dit-il entre lui et les enfants du quartier lorsque nous ne sommes pas là ? Quels messages reçoit-il de l’extérieur ? Quelle image a-t-il de lui ? Comment être certaine que nous interprétons bien sa question ? Nous lui parlons de sa différence. Cela semble le satisfaire pour l’instant. Mais un doute me ronge… Sait-il réellement ce qu’est la différence ? Arrive-t-il à la percevoir lorsqu’il est concerné ? 

Il y a deux jours, comme à son habitude, Théo égrainait le nombre de secondes qu’il me fallait pour le mettre en pyjama, tout en tapotant des doigts sur le lit. Je lui ai fait remarquer que ce qu’il faisait là, c’était un symptôme de son autisme. 

– Toi, tu as besoin de compter tout ce que tu fais, tout ce que nous faisons. Je ne dois pas te parler à ce moment-là, parce que c’est important pour toi. Pour les enfants qui ne sont pas autistes, ce n’est pas nécessaire. Ils se mettent en pyjama sans même y penser et peuvent discuter en même temps. 

– Ah ! d’accord ! m’a-t-il répondu. 

Je crois qu’il a compris l’exemple. Pour autant, qu’est-ce que cela veut dire pour lui ? Peut-il relier ceci à une normalité ? Est-ce qu’il peut avoir une juste vision de son handicap ? Est-ce qu’il est conscient de ce qui le distingue des autres ? Sinon, d’où vient sa souffrance ? Et surtout, comment, à 7 ans, peut-on gérer cette terrible réalité : les enfants ont peur de moi, parce que je suis différent ? 

Pourtant Théo est dans une bonne période en ce moment, il semble heureux. Il passe des journées calmes, il est souriant et confiant. Il n’y a ni pleurs, ni crise, ni enfermement ! Les régressions sont loin, à l’inverse, il s’ouvre au monde. Il est curieux de tout, dynamique, volontaire. Il accepte nos explications, il supporte d’être contredit, il tolère les frustrations et les attentes. Il montre quelques signes de contentement et s’est même réjoui d’une surprise qu’on lui a faite il y a peu. 

Je n’ose pas profiter de l’occasion pour trop le câliner… j’ai peur que ce simple geste de ma part le fasse se refermer comme une huitre. Parfois le soir, lorsque je lui souhaite bonne nuit, je lui caresse la tête, rapidement… ça n’a pas l’air de le déranger. Quand je lui fais la toilette aussi, un petit bisou discret… il ne dit rien. Mais plus ? J’aurais l’impression d’abuser de la situation pour un besoin égoïste. Tant pis. Son sourire, ses yeux rieurs, ses jeux, ses questions, tout ça me comble. 

Hier je l’observais alors qu’il jouait sur sa tablette et je me suis dit « Peut-être ai-je un enfant autiste, parce que je suis de taille à l’aimer ainsi » ! 

C’est bête, je sais. Mais ça fait du bien parfois de trouver des réponses même lorsque d’évidence il n’en existe pas.