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La Main à l'Oreille

Articles et critiques  

Échos Cinéma avec Lacan 

« Le monde de Théo » 

  

Écouter les autistes et leurs parents 

 

 

Par Rémi Lestien 

La soirée cinéma avec Lacan autour du documentaire « Le monde de Théo », s’est déroulée Jeudi 18 Mai, en présence de Valérie Gay-Corajoud. 

A l’image de sa  présence dans le film, sa vitalité et son énergie ont conquis le public. Sa recherche inlassable de la compréhension du noyau d’énigme de son fils est un modèle pour tout clinicien. Hors toute norme elle a affronté un champ angoissant avec la seule certitude qu’il y avait des lois à retrouver pour constituer un autre monde – un autre monde avec lequel elle a pu dès lors établir un nouveau mode d’être moins désemparant.  

Théo a profité magnifiquement de cette recherche en se constituant, lui aussi, une modalité d’être moins angoissante.  

C’est ce que j’ai appréhendé l’écoutant, ainsi que sa fille, qui était également présente. C’était une belle leçon que son travail sur le signifiant et son appréhension d’un corps qui souffre. 

  

Remi Lestien, 

Responsable des soirées Cinéma avec Lacan 

Pour le bureau ACF-VLB Nantes-St Nazaire 

Quelle belle soirée que celle de jeudi 18 mai dernier au cinéma bonne garde à Nantes ! 

Nous y avons assisté à la diffusion du film de Solène Caron : « Le monde de Théo. Quand l’autisme s’invite dans une famille ». La projection fut suivie d’un débat passionnant avec Valérie Gay-Corajoud, la mère de Théo.  

Depuis plusieurs années, cette femme témoigne de sa vie de mère avec son fils autiste, dernier né de ses quatre enfants. Elle est l’auteure de plusieurs articles, mis en ligne sur son blog Médiapart, et du livre : "Autre-Chose dans la vie de Théo", écrit aux 10 ans de son enfant, âge où elle put acter la réussite du choix singulier qu’elle avait fait pour lui. 

A partir du déclenchement des troubles de Théo à ses 2 ans, Valérie Gay-Corajoud a en effet choisi de voir ses comportements inadaptés comme le seul moyen qu’il avait de communiquer et la seule façon pour elle de savoir quand il allait mal. Elle refusa alors toute méthode susceptible de les supprimer et s’engagea dans une recherche quotidienne pour que le monde de son enfant rejoigne le sien. 

Elle fit le pari sans filet, de s’enseigner de l’autisme de Théo, en interprétant ses conduites dysharmonieuses et atypiques au quotidien, et en s’enseignant de ses trouvailles. Elle considéra pour cela que son enfant avait une langue qu’elle devait apprendre. Elle décida d’apprivoiser cette langue pour qu’il l’accueille dans son monde, comme dans un pays étranger. 

C’est en toute humilité que Valérie Gay-Corajoud nous a fait partager jeudi soir ce parcours inédit et à contre-courant. Elle nous a livré dans le détail les étapes de ce combat familial exigeant et courageux, qui illustre la puissance créatrice du désir, quand il est porté à un enfant de manière particularisée. 

Aujourd’hui Théo a 13 ans. Il parle et a réussi à faire cohabiter son monde avec celui des autres. Son monde est toujours là, mais il a écarté les murs de la forteresse dans laquelle il était enfermé auparavant. Il est même devenu l’organisateur de son propre microcosme sur le net. 

Théo et son microcosme 

 

Par Alexandre Gouthière 

Les 1er et 2 juillet 2017, se tiendra à Bruxelles le quatrième congrès européen de psychanalyse, et le thème de ces prochaines journées PIPOL sera : « Une clinique hors les normes ».  

C’est dans ce cadre qu’a eu lieu au cinéma Bonne Garde à Nantes, le 18 mai 2017, la projection du film « Le monde de Théo », de Solène Caron, suivie d’un débat avec Valérie Gay -Corajoud, la mère de Théo. 

Ce film est né d’une rencontre entre deux femmes, dans un Colloque organisé à l’Université Rennes 2, en 2015. A ce colloque était présent Ron Suskind, journaliste au New York Times, venu témoigner le l’étonnante évolution de son fils, Owen Suskind, sorti de son repli autistique grâce au medium des films de Disney. Et de ce témoignage est sorti un livre, puis un film, « Life animated ». C’est de là que vient le concept d’Affinity Therapy, qui constitue un tournant dans l’approche de l’autisme, ici centrée sur les intérêts spécifiques de l’enfant, approche qui s’oppose au courant comportementaliste dominant. 

Quelques temps après cette rencontre, Valérie Gay-Corajoud, mère d’un enfant autiste, accepte de parler devant la caméra de Solène Caron, psychologue clinicienne. Ce n’est pas une méthode qu’elle propose, mais un témoignage : celui d’une mère, soucieuse d’accompagner au plus près son fils autiste, dans les étapes d’un parcours singulier, avec la précision d’une clinicienne hors-normes. 

Parmi les nombreux passages qui ont retenu mon attention, j’en retiendrai quelques-uns. 

Le premier, c’est qu’elle dit que dès la maternité, elle a été en alerte. Déjà mère de trois enfants, elle n’avait plus ses preuves à faire, et a senti dès la naissance de son fils que quelque chose n’allait pas. 

Elle décrit ensuite les particularités de son enfant lors des deux premières années : le regard fuyant, les cris, une sensibilité extrême aux bruits, aux odeurs. Elle dit aussi toute la douleur que peut constituer pour une mère l’impossibilité de toucher son enfant. D’emblée, elle accepte son enfant dans sa différence. Un monde les sépare, mais plutôt que de vouloir faire entrer Théo dans le monde de la famille où il grandit, toute son attention est centrée sur le désir de pouvoir entrer dans le monde de Théo et elle cherche comment établir des ponts. 

Elle nomme ensuite une régression des apprentissages quand Théo a deux ans. Elle chute dans un gouffre : tout dégringole, Théo ne communique plus. La famille s’organise, se réunit, et parle beaucoup. De très nombreux rituels sont mis en place pour tenter d’accompagner Théo dans les changements dont toute vie quotidienne peut être marquée, comme le changement de couleur du biberon par exemple, qui peut suffire à faire entrer Théo dans des angoisses terribles. 

Vient le temps du diagnostic, véritable parcours du combattant, notamment quand une neuropsychologue lui demande de filmer son fils dans tous ses symptômes : les automutilations, les colères. La mère de Théo se sent enfermée et ne voit plus son fils que dans les symptômes qu’il présente. Pour sortir de cette vision, elle décide de reprendre les rushs des montages vidéos, ce qui lui permet de changer son regard et de se réapproprier son fils. Ces rushs font partie des bonus du DVD. 

Enfin, elle accuse réception de la langue privée que Théo se forge, se construit à partir des dessins animés qu’il visionne, dont Kirikou et la Sorcière. Elle accuse réception d’une syllabe qu’il prononce lors d’un voyage en famille en forêt. Théo prononce « ab » pour désigner les arbres qu’il adore : la famille s’arrête, Théo touche les arbres. A partir de là, elle parle d’une seconde naissance de Théo. 

Quand je parlais plus haut de l’extrême précision de clinicienne de cette mère, c’est qu’elle explique et décrit avec une grande finesse certains des symptômes de son fils. Par exemple, l’automutilation, qui n’est pas une recherche de la douleur, mais bien plutôt une sorte de solution de Théo qui cherche quelque chose contre quoi arrêter son corps. Elle donne un autre exemple : quand elle demande à Théo de chercher pour elle un objet dans son sac à main : ce dernier est envahi par les différentes odeurs des objets contenus dans le sac, il a l’impression également que ses doigts disparaissent dans le sac quand il plonge sa main dedans. 

Enfin, ce témoignage ne s’arrête pas à ce film puisque la mère de Théo est devenue formatrice auprès des différents professionnels chargés d’accompagner les enfants autistes, comme les auxiliaires de vie, les éducateurs. 

Hors-les-normes,  

le monde de Théo 

 

Par Séverine Buvat 

Le Monde de Théo  

Par  

Christophe Balguerie 

"Le monde de Théo" est le témoignage filmé d’une mère qui part à la rencontre de son fils autiste. 

Des propositions qui lui ont été faites par les professionnels, aucune n’a trouvé ses faveurs, car toutes présentaient son fils sous un angle déficitaire. Par exemple, on lui a demandé de filmer son fils pour transmettre ses observations. Elle y a consenti jusqu’au moment où elle a réalisé avec culpabilité et colère, que ce qu’on lui demandait la conduisait à l’observer comme un handicapé. 

La mère décide alors de s’occuper elle-même de son enfant. Après une période d’échanges sur les réseaux sociaux, elle constate que les conseils se limitent le plus souvent à rectifier les conduites des enfants. Ce n’est pas ce qu’elle recherche, elle veut comprendre son fils. Elle prend le parti de considérer que les comportements inadaptés de son fils sont son seul moyen de communiquer et refuse toute méthode qui viserait à les supprimer. Elle finit par repousser le diagnostic médical, les méthodes et le savoir préconçus qui vont avec. Elle accepte de ne pas savoir pour aller à la rencontre de son fils. Dès lors, elle lui suppose un monde, d’où le titre du film. Il est quelque part. Le savoir n’est pas chez elle. Le savoir, dit-elle, est à extraire des conduites de son fils, même de ses conduites les plus folles. 

Elle précise que le film n’est pas une méthode à suivre. Il y a autant de méthodes que de familles. C’est du désir décidé, d’échanger et de découvrir son fils que va naître le désir chez Théo. La naissance du désir chez l’enfant vient toujours du désir d’un autre. Par des allers-retours constants, la mère va construire une passerelle entre le monde de Théo et le monde de la famille, puis avec celui d’autres êtres humains. Les barrières sont pourtant immenses. Le langage l’agresse, son corps n’a pas de limite. Rituels envahissants, refus de parler, crises classiques, automutilations, témoignent des terribles souffrances qu’éprouve l’enfant dans son rapport aux autres, et au morcellement de son corps. 

Inventive, curieuse et persévérante, la mère de Théo nous enseigne une clinique hors les normes qui respecte la singularité des êtres parlants, ce dont Théo a pu profiter en se constituant un mode d’existence moins angoissant. 

  

Christophe BALGUERIE  

Psychologue clinicien 

SESSAD Vents d’Ouest. Liré et Vallet 

Le 29 mai 2017 

Soirée débat après  

Le monde de Théo 

 

par  Laurence Vollin 

                               

La projection du film « Le monde de Théo » à Aigle (Suisse) a été organisée par le Café Parents d’Aigle, créé par Christiane Ruffieux et ses collègues. Celui-ci se  réunit tous les mois depuis maintenant deux ans. 

Valérie Gay-Corajoud, la maman de Théo, était présente et nous avons eu la chance, après l’avoir entendue dans ce très beau documentaire de Solène Caron, de converser avec elle et d’approfondir ce qui faisait écho à notre propre expérience. Il est remarquable de constater à quel point la confiance entre Valérie Gay-Corajoud et son fils est un élément déterminant. Cette confiance est un des moteurs qui a fait progresser Théo, et leur a permis de s’orienter en dehors des institutions. 

Ce témoignage a eu une très belle résonance dans le public et il a autorisé des parents et des professionnels à intervenir, avec beaucoup de pudeur et d’émotions, pour relater leur vécu. 

Ce qui m’a également frappé dans la position de Valérie Gay-Corajoud, c’est son évolution : elle a totalement œuvré pour que Théo puisse s’inscrire dans notre société en adhérant, sans réserve et sans faille, avec toute sa famille, à son monde. Maintenant, elle travaille dans une position plus politique : comment faire en sorte que notre monde puisse accueillir Théo et les personnes autistes ? 

Cette projection fut précédée d’un Café Parents en la présence de Valérie Gay-Corajoud. L’ambiance très conviviale de ces quelques heures a favorisé des échanges d’une grande richesse. Nous avons dialogué sans trêve et Christiane ponctuait nos interventions avec des questions orientées par son regard de professionnelle, qui relançaient pertinemment notre conversation. J’ai énormément apprécié la complicité qui s’est tout de suite établie entre les parents. Nous avons ri, nous sommes exclamés et avons sérieusement pris note des trouvailles de nos enfants. Nous étions réunis dans un temps unique pour dire et reconnaître nos situations singulières de parents d’enfants différents. Et c’est avec bonheur qu’encore une fois s’est inscrit ce trait, ce lien qui nous unit : nous sommes parents de personnes vivantes bien avant d’être parents de personnes autistes.   

Il y a peu de temps, nous avons appris l’heureuse nouvelle que Théo, le jeune garçon fasciné par l’eau et l’ordinateur que nous venons de découvrir dans le documentaire : « le monde de Théo » a pu accomplir son rêve de nager aux côtés des tortue marines lors d’une plongée en mer. 

Si Valérie Gay-Corajoud, sa maman, n’a pu être à nos côtés aujourd’hui, c’est parce qu’elle accompagne actuellement Théo lors d’une nouvelle exploration en méditerranée. 

En avril de cette année, lors d’une manifestation organisée par l'association "La Main à l’Oreille" dans le cadre de la journée internationale de l’autisme, Théo a pu prendre la parole avec aisance aux côtés de son frère Harold (1). Ensemble, ils ont témoigné du trajet difficile qu’ils ont dû parcourir afin de renouer le lien fraternel interrompu lors de la deuxième année de Théo lorsque celui-ci tomba dans ce que Owen Reskind et Donna Williams, tous deux autistes, appellent respectivement « puit noir » et « Grand Rien Noir ». 

Dans le documentaire « le monde de Théo » ce dernier nous est présenté par sa mère. Plus précisément, elle nous invite à entrer dans son monde, nous faisant partager ses joies, ses préoccupations, ses angoisses vécues durant les différentes adversités que Théo rencontra afin de sortir de son repli autistique. 

A travers le généreux engagement de nos ami(e)s du grand réseau d’échanges de LaMàO (La Main à l’Oreille), Théo fait maintenant partie de notre monde. 

Ce documentaire est un très beau témoignage au sujet de l’énigme que représente l’autisme et des tentatives menées à bien pour le déchiffrer, à partir du désir de découvrir la singularité de Théo, aux antipodes d’un désir de normalité (2). 

Au tout début, le petit révéla à sa famille des signes de sa fragilité, mais c’est à deux ans, après un accident domestique qu’il coupa réellement les amarres qui l’attachaient aux autres en plongeant dans un isolement effrayant et dans un sombre silence. 

Valérie a cherché de l’aide auprès des spécialistes mais également sur le Net en participant à des forums. Mais finalement elle s’est retrouvée plus seule que jamais, voire même menacée d’un futur encore pire si elle refusait de suivre les indications qu’on lui proposait. 

Mais Valérie avait pris la décision de ne pas transformer Théo en un enfant normal. Elle voulait avant tout établir un contact avec lui, le comprendre, créer un pont, un lien. 

Théo privé de la parole, seuls ses colères, ses gémissements, ses cris et ses murmures permettaient à sa mère de comprendre comment il se sentait, de ressentir avec lui son angoisse et sa désolation. En cela tous ses comportements étaient acceptés. 

Aux côtés de ses autres enfants, elle a pu lui offrir tout le soutien possible sans condamner les expressions incommodes, exagérées et même violentes, sans jamais le contraindre à les remplacer pour d’autres plus convenables, plus raisonnables. 

Cette persévérance porta ses fruits et Théo manifesta un jour clairement son désir de parler, tout d’abord à travers l’invention d’une langue propre et ensuite à l’aide du langage courant, jusqu’à atteindre un style élégant et cultivé. 

Le lien familial s’est construit jour après jour, sans suivre aucune méthode ni programme, restant éveillés et attentifs aux particularités de Théo. Seulement ainsi nous pouvons saisir les trouvailles et célébrer le dialogue qui se forge et s’enrichit chaque jour, avec le goût partagé du langage. 

Nombreux sont les aspects que Valérie souligne et qui sont d’un grand intérêt pour les personnes qui sont ou qui prétendent être en rapport avec les autistes. 

J’en évoquerai quelques-uns qui me paraissent essentiels. 

Tout d’abord, la compréhension nécessaire de la part des adultes face au terrible débat intérieur que maintient l’enfant autiste face aux attentes que nous pouvons avoir face à ses progrès et dont il se reproche de ne pouvoir les accomplir, comme cela arrive à Théo lorsqu’on lui suggère d’arrêter de demander chaque soir si le film qu’il vient de voir a été long avant d’aller se coucher. Le soir où il semblait y être parvenu, Valérie le trouva debout devant sa chambre en pleine nuit, frissonnant de froid, parce qu’il avait encore le besoin de poser la question. 

Ensuite, Valérie nous offre une véritable leçon quant au fonctionnement des rituels ou des stéréotypies, tellement nécessaires pour tracer un artifice de l’espace et du temps, accessible à son expérience constante du chaos. 

Être attentifs et répondre de façon adéquate -sans penser- au sujet non protégé, c’est la définition de l’acte. Le livre posthume de Cécilia Hoffman qui a pour titre Construyendo mundos. El caso Didac (4), élabore des enseignements autour de l’acte. Elle avait compris que la véritable attention précoce n’était pas de stimuler (faire que quelqu’un veuille faire quelque chose) mais d’offrir l’aide précise au moment précis du désarroi, au banni du langage afin de soutenir l’acte qui humanise, récupérant son désir. 

Dans la rencontre apparemment indifférente de deux petits dans le cadre de l’attention précoce, la petite a laissé sur la table des clés en jouet. Didac, l’enfant, les prend et les emmène avec lui à sa séance durant laquelle il s’en désintéresse. Cependant, lorsque le moment arrive de conclure la séance il les prend à nouveau comme s’il s’agissait d’un trophée et les montre à la petite fille qui attend en silence mais avec impatiente la restitution de l’objet lorsqu’ils se retrouvent à nouveau dans la salle d’attente. 

Les parents des deux enfants assistent nerveux à la scène. Cecilia saisit la situation et commence à ébaucher mentalement une négociation. Mais quelqu’un prend les clés des mains de Dídac et les met dans les mains de la petite fille. Un hurlement terrible nous fait comprendre que ce n’était pas qu’une simple rivalité qui était en jeux pour l’enfant. Tandis que Cecilia courrait pour aller chercher d’autres clés elle écoutait le cri désespéré du démuni, ayant tout perdu en un instant, l’objet et le corps. Très vite l’enfant a récupéré les deux, sans aucun mot ni parole, mais pouvant exprimer, soulagé et retrouvant la vie, un « Merci ! » qui supposa un échange productif de Didac avec le monde. 

La bonne rencontre et la réponse juste, dépendent d’avoir su se détacher de l’identité, du narcissisme, de l’expectative de reconnaissance. Un tel degré de dévouement reçoit sa récompense. 

Théo a construit son monde grâce au soutien quotidien offert par sa famille généreuse. Aujourd’hui, lui-même encourage et propose la formation de microsociétés, de micromondes sur internet. Nous espérons faire partie de l’un de ces mondes, nous, le micromonde organisé par Teadir Euskadi et l’École Lacanienne de Psychanalyse. 

  

Nous saluons Théo depuis Tabakalera, à Donosti, sur la mer Cantabrique et nous lui souhaitons de grands progrès dans ses immersions dans le monde sous-marin. 

  

Intervention dans le cadre de la présentation du documentaire du 9 juin 2017. 

  

1-https://lamainaloreille.wordpress.com 

  

2-Ibidem. 

  

3-Temple Grandin a développé cet aspect dans son livre Si on me touche, je n’existe plus. Et Naoki Higashida dans Sais-tu pourquoi je saute ? 

  

4-C. Hoffman. Construyendo mundos. El Caso Dídac. Autismo, atención precoz y psicoanálisis. RBA. Barcelona 2017. 

  

Traduction: Catherine Galaman 

Révision: Valérie Gay 

Le monde de Théo 

  

Par Vilma Coccoz  

Responsable Observatoire Autisme EuroFédération de psychanalyse 

L'autisme autrement à Bastia 

 Par Amélia Martinez 

Se laisser enseigner par son enfant autiste est tout ce que déplie Valérie Gay-Corajoud avec son fils Théo lors de son témoignage filmé par Solène Caron Le monde de Théo ? Là encore, la force de son désir, le désir de comprendre ce qui se passait pour son fils. Valérie Gay-Corajoud explique que lorsque Théo était sans langage, la manifestation de ses symptômes était le seul moyen de savoir lorsque Théo n’allait pas bien. Il n’était donc pas question de les éradiquer. 

  

Je retiens ce moment clé dans son témoignage : après avoir passé des mois figée dans l’incompréhension, à observer « à distance » Théo en se demandant comment le « ramener » dans leur monde, Valérie Gay-Corajoud a dit « OUI » à toutes les particularités de son dernier enfant. Ce oui à son autisme, et à tout ce qu’il comporte, a la valeur d’un acte. Ce oui représente un moment de bascule. À partir de là, la maman et les autres membres de sa famille ont été à la rencontre du monde de Théo. 

  

Ce oui inaugural aux inventions de Théo a permis d’ouvrir sur des possibles et a permis à Théo, à son rythme, de revenir vers sa famille. 

  

Je retiens aussi le passage dans lequel Valérie Gay-Corajoud parle des moments où Théo semble « régresser » car son savoir devient plus grand. Elle parle des murs de sa forteresse qui s’agrandissent et de la nécessité du temps qu’il faut à Théo pour qu’il reprenne ses marques dans ce nouvel espace. Cette phrase est saisissante de justesse et de clarté. Ce témoignage m’apparaît être très en écho avec l’approche lacanienne. 

  

Amélia Martinez 

Souvenir d'Ajaccio 

  

Par Annie Smadja 

L’expérience personnelle de Valérie Gay-Courajoud (Le monde de Théo), dans son chemin à la rencontre de son fils, a fait peu à peu écho aux avancées des cliniciens de notre champ : se proposer comme double étayant, côte à côte et non face à face, s’orienter des intérêts propres de l’enfant, éviter l’intrusion et l’adresse directe, favoriser le calme sensoriel pour apaiser l’angoisse. Elle confirmait user d’un doux forçage mais accepter une certaine immuabilité et la prégnance des objets. Elle a déployé ce riche enseignement avec pudeur et simplicité, démontrant en cela l’intuition des parents et de l’indispensable alliance avec eux comme préalable à tout suivi d’enfant. 

  

Avec la bonne humeur et l’enthousiasme qui la caractérisent, elle n’a cependant pas fait silence sur les difficultés persistantes, la solitude qui fut la sienne, ses combats et le parcours de sa famille pour accueillir Théo, sans réserve, avec sa singularité. En effet, beaucoup dans l’assistance furent saisis lorsqu’elle dit que l’affection qu’elle avait pour son fils n’était probablement pas réciproque, leur lien étant d’un registre différent. 

  

Elle a réussi à susciter chez les participants le souhait de connaître le monde de Théo… et des autres. 

  

Annie Smadja 

Fenêtres sur les régions « Le monde de Théo » 

Par Mathilde POCZEKAJLO et Carine GOETZ,  

FOF Grand Est 

Samedi 24 mars 2018 a eu lieu, à Strasbourg, l’Assemblée Générale annuelle de la Fédération des Orthophonistes de France - Grand Est, avec la projection du film :  « Le monde de Théo », (film de Solène Caron, avec Valérie Gay-Corajoud) suivie d’un débat avec Véronique de Saint Pierre, psychologue et psychanalyste, membre de l’ACF Est, invitée par FOF Grand Est. Elle intervient dans des institutions médico-sociales pour enfants et adultes ainsi qu’en cabinet libéral. 

Ces dernières années, la prise en charge de l’autisme a été au cœur d’une polémique et n’en est toujours pas dégagée. Entre méthodes comportementalistes et psychanalyse, le débat est devenu impossible, allant jusqu’à instrumentaliser et négliger parfois les autistes eux-mêmes et leurs parents. Ce débat est même allé envahir la scène politique en décembre 2016, sous la forme d’une proposition de loi visant à interdire les thérapies d’orientation psychanalytique. Fallait-il laisser à l’Etat le soin de légiférer sur la liberté des choix théoriques et cliniques des thérapeutes et institutions prenant en charge les autistes ? Il y avait là un risque grave de dérive que la FOF a dénoncé. Ce texte n’a pas été voté par l’Assemblée Nationale. 

Et s’il était temps d’écouter les autistes et leurs parents, de leur redonner une place, au-delà de ces polémiques qui enflamment professionnels et associations de parents ? 

  

L’idée de ce film, réalisé par Solène Caron, est venue de la rencontre entre la réalisatrice et Valérie Gay-Corajoud, la maman de Théo. 

Dans ce film qui laisse la place à la maman de Théo, Solène Caron a souhaité remettre les parents au centre de la question de l’autisme en leur donnant la parole. Elle les remet aussi au centre de la prise en charge de l’autisme. L’autisme n’est pas seulement la question des spécialistes, les premiers concernés sont bien ceux qui vivent au quotidien avec un enfant autiste. 

  

Valérie Gay-Corajoud le dit très justement : l’autisme s’est invité dans sa famille. Toute la famille a dû lui faire une place, s’adapter, trouver des moyens d’être en relation les uns avec les autres. Il n’y a pas eu le choix. Elle évoque avec justesse et pudeur l’annonce du diagnostic, les difficultés à comprendre, l’énergie et la bienveillance dont toute la famille a dû faire preuve pour continuer à se parler et vivre ensemble. 

La question du langage y est évoquée tout au long et intéresse certainement les orthophonistes. Là encore, Valérie Gay-Corajoud nous fait part de son regard, de son enthousiasme, de ses observations et de sa créativité pour partager le monde de Théo. Elle nous donne des pistes de réflexion et de travail. 

C’est pour toutes ces raisons que nous avons voulu partager ce film et réfléchir ensemble sur l’autisme et le regard que posent les premiers concernés sur cette pathologie. Parce qu’accueillir un enfant autiste c’est aussi accueillir ses parents et leur faire une place, c’est être ouvert à ce qu’ils peuvent nous apprendre sur leur enfant. Cette pensée s’inscrit dans les conceptions du langage que la FOF défend : prendre en compte chaque patient dans son unicité et inventer toujours, avec lui, pour pacifier son langage et sa relation aux autres. 

Véronique de Saint Pierre, psychologue et psychanalyste nous a accompagnés dans cette réflexion en nous apportant un regard croisé, et elle a su éclairer nos questionnements. 

Si la problématique du langage traverse le film, c’est parce qu’elle est également un symptôme central dans l’autisme. Si on considère que le langage est, entre autres, cette faculté qui nous permet d’échanger et de partager avec les autres, il y a une absence de cette possibilité dans l’autisme, un défaut de ce lien. Valérie Gay-Corajoud raconte un événement particulier, identifié a posteriori comme un traumatisme, un moment de rupture du lien à l’enfant.  

Théo, âgé de deux ans, se brûle la main contre un radiateur et entre en crise, comme « possédé ». Cet épisode s'accompagne d’une perte du langage, alors que pour Théo, l’entrée dans le langage s’était faite de façon normale. La famille comprend alors qu’il ne s’agit pas seulement d’un enfant au caractère colérique et qu’ils font face à quelque chose de plus énigmatique. Dans ce moment où l’échange n’est plus possible, la famille se trouve mise à l’écart et dans une position de sidération, mais elle cherche à entrer à nouveau en contact avec Théo. 

Ainsi, quand Théo cesse de parler, Valérie Gay-Corajoud comprend ses stéréotypies comme la seule manière pour lui de dire qu’il ne va pas bien, à défaut de langage. Elle analyse également l’importance pour son fils des rituels venant structurer le chaos. 

  

Il y a là un respect du vécu de Théo, de ses angoisses et des défenses qu’il met en place, et ce, malgré l’angoisse que cela génère dans la famille. Nous avons évoqué nos propres angoisses, engendrées par des comportements, des stéréotypies autistiques et comment les méthodes comportementalistes permettraient, à des fins éducatives, d’éradiquer les comportements et objets autistiques. Celles-ci peuvent entraîner une angoisse supplémentaire chez les autistes. 

Véronique de Saint Pierre a évoqué la fonction de ces rituels structurants, qui permettent aux autistes de gérer l’angoisse liée au chaos, à la différence des rituels enfermants qui verrouillent le monde. Valérie Gay-Corajoud les décrit très bien dans le film lorsqu’elle évoque les premiers rituels, puis tous ceux qui vont s’ajouter jusqu’à devenir ces rituels enfermants. Elle raconte comment la famille tentera constamment, avec délicatesse, d’introduire de la souplesse dans les rituels de Théo. 

Véronique de Saint Pierre a amené le concept de « doux forçage » (Éric Laurent) pour décrire cette attitude : ne pas aller contre les défenses du sujet, mais intervenir par petites touches, dans un accompagnement bienveillant pour devenir partenaire. Le récit de Valérie Gay-Corajoud rend compte de ce mouvement d’acceptation et d’ajustement permanent. 

A la phase de perte du langage, succède le moment du retour aux mots, décrit comme une « seconde naissance » par Valérie Gay-Corajoud qui raconte avec émotion la langue que Théo invente pour recommencer à parler. Cette langue inventée servira d’interface pour retrouver une langue commune. On perçoit bien le parti-pris de la famille de Théo d’aller à sa rencontre, quitte à y aller à sens unique, pour permettre une forme de vie en commun et d'accepter ses mots, de les utiliser, de leur donner du sens pour parvenir à nouveau à un sens partagé. 

Nous avons échangé sur la séquence où Théo parle des poissons dans l’aquarium avec sa langue, son jargon. On y entend sa maman reformuler, « traduire », et répondre à son fils. Elle ne corrige pas le discours de son fils, mais fait le lien entre sa langue propre et la langue commune. A partir de cette langue créée par Théo, son orthophoniste et lui écriront un dictionnaire qui sera un des éléments du lien entre le monde de Théo et le monde des autres. 

Cela nous a évoqué cette nécessité, à laquelle nous sommes également confrontés dans la pratique clinique avec des autistes, de nous saisir de ce que l’enfant apporte, de ses affinités particulières, comme d’une passerelle. 

Les autistes peuvent aborder le monde parce qu’ils possèdent un objet autistique. Ce sont ces objets autistiques, ces inventions amenées par les autistes qui peuvent nous permettre de créer du lien. Cet univers particulier est à découvrir avec chaque sujet et peut alors devenir un objet partagé. C’est grâce à cette possibilité de partage qu’un apprentissage devient possible, comme c’est le cas pour Théo qui est peu à peu entré dans l’apprentissage du langage écrit avec l’aide de sa maman. Là encore, elle décrit son adaptation constante au rythme de Théo, à ses refus, aux jalons qu’il pose et qu’elle respecte pour l’aider à progresser. 

Dans nos échanges, nous avons évoqué les thérapies comportementalistes. Certaines orthophonistes défendent la possibilité d’une utilisation bienveillante de ces méthodes. Il s’agit avant tout d’éthique professionnelle, dans le respect du patient et de sa famille. En effet, les outils, quels qu’ils soient, sont au service des patients. Ce n’est pas au patient d’obéir à la méthode, ce qui nous paraît si difficile avec certaines de ces thérapies. Ainsi, la famille de Théo était convaincue que cela ne conviendrait pas à leur enfant et a choisi un chemin que les professionnels ont dû respecter et accompagner. 

Dans ce film qui donne la parole à une mère, nous avons découvert une parole intime, mais aussi un regard d’une grande justesse clinique, qui lui confère auprès de son fils presque une attitude thérapeutique. Les observations de Valérie Gay-Corajoud nous ont donné des pistes pour appréhender le monde des autistes et nous ont permis de faire des liens avec la clinique orthophonique. L’histoire de Théo, racontée depuis l’incident originel ayant entraîné une rupture du lien, jusqu’à ses possibilités ultérieures d’échanges, de communication avec les autres, et d’apprentissages, nous a montré comment la bienveillance et la créativité de sa maman ont contribué à un mieux- être et une pacification de son rapport au monde. Ces réflexions nous ont confortés dans notre clinique du sujet, notre adaptation et notre écoute pour chacun. 

 

 

Fédération des Orthophonistes de France - fof.federation@gmail.com 

  

Bulletin # 138 - Mai - Juin - Juillet - Août 2018