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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

Émergeant de presque une année de mutisme, retrouvant petit à petit le chemin de la communication par le biais d’un langage qu’il venait tout juste d’inventer et dont nous, sa famille, apprenions le vocabulaire et la grammaire au jour le jour, conscients de la préciosité et de la fragilité de cette trouvaille.

 

Si nous avions scolarisé Théo à cette époque, comme on nous l’a conseillé, j’ai l’absolue certitude qu’il se serait replié en lui-même pour ne plus jamais en sortir. Toutes ses forces jetées dans sa volonté de s’ouvrir à un monde complexe et jusqu’alors dénué de sens, il les aurait employées à se protéger des autres, et ce langage, ce merveilleux langage auquel personne n’aurait prêté attention, il aurait disparu à tout jamais. Pour moi, cela ne fait aucun doute.

 

Pour dire les choses plus simplement : la norme – puisque ce mot à la mode semble être le Graal de l’éducation nationale – lui aurait renvoyé à la face son « anormalité »… Ce que nous, sa famille, les personnes qui l’aimons pensions être à l’inverse, son plus précieux trésor.

 

Tous autour de moi me parlaient des bienfaits de l’inclusion, m’encourageant à donner sa chance à mon fils, à ne pas le scléroser, à ne pas le surprotéger, à ne pas l’enfermer dans un diagnostic !

Pourquoi ne pas profiter de cette incroyable avancée sociale ? me disait-on. Pourquoi me désolidariser de tous ceux qui s’étaient battus pour ouvrir l’école à tous ? Étais-je donc butée ? Égoïste ? Rétrograde ? Étais-je finalement prétentieuse de refuser à Théo ce qui semblait acceptable pour leurs propres enfants ?

 

C’est l’une des conséquences désastreuses et particulièrement vicieuses de cette proposition simpliste face à un sujet complexe : le poids qu’elle fait peser sur les familles, en opposant à leur savoir, la bien-pensance de tout un chacun.

 

Cela nous oblige à nous justifier en expliquant sans cesse que : « oui, bien sûr, ce serait mon rêve que mon fils puisse s’intégrer dans le monde, mais non, ce n’est pas possible en l’état. Mon enfant est trop fragile, c’est un fait et non une vue de l’esprit ! Il sera en danger, je le sais mieux que personne en effet.

Ce n’est pas ma peur qui l’enferme, c’est la société qui n’ouvre pas les bonnes portes et qui transforme une idée attirante en un bricolage intolérable. Alors oui, ce serait fabuleux qu’il puisse intégrer une école, mais non, l’école actuelle n’est pas en mesure de le recevoir. Elle peine déjà à traiter correctement les enfants sans handicap ».

 

Jusqu’alors considérée comme une mère plutôt bienveillante et attentive, je suis rapidement devenue, celle qui râle par principe, qui proteste quoi qu’on lui présente. Je suis devenue soupçonnable et quoi qu’il en soit, dérangeante, et peut-être bien que cette solitude dans laquelle j’évoluais, je la méritais finalement puisqu’incapable de saisir les propositions que tout le monde s’accordait à trouver merveilleuses. Dès lors, toutes plaintes et réclamations de ma part seraient malvenues. Après tout, j’avais fait mon choix, à moi d’assumer.

 

Mais le seul choix que j’ai fait, c’est refuser l’inacceptable et c’est ce refus qui a entrainé une vie solitaire et isolée, et même si j’ai aimé être auprès de mon fils tout au long de son chemin, n’aurions-nous pas mérité d’autres alternatives ?

Pour lui un accompagnement plus complet, mais adapté à ses besoins spécifiques, pour moi un espace pour me reposer et des personnes pour me seconder ?

Le choix est-il donc binaire ? L’inclusion en milieu ordinaire ou la vie au sein de sa famille en attendant une éventuelle institution qui aura peut-être une place pour lui ?

 

Et plus Théo évoluait à la maison, plus il semblait être en mesure d’être scolarisé et plus je devais justifier mon choix de ne pas l’y contraindre ! D’un côté, on me félicitait pour le travail effectué auprès de lui, d’un autre côté on me reprochait de ne pas lui donner la chance d’être mêlé dans le grand bain de l’éducation nationale, comme si rien n’était possible sans en passer par là.

Je devais sans cesser rappeler que justement, ses progrès avaient pu être accomplis à l’abri de la fureur du monde et de son rythme effréné, et surtout, à l’abri de toute comparaison.

 

 

Aujourd’hui, l’autisme de Théo est presque invisible pour son entourage. Et pourtant, il en vit la réalité jour après jour, le sujet de l’inclusion devient pour lui encore plus compliqué et la pression sociale encore plus impitoyable, et croyez-moi, cela génère chez lui des angoisses terriblement délétères.

 

Je dois veiller en permanence afin de m’assurer que personne n’oublie les attentions particulières et fondamentales qu’il mérite de recevoir et qui sont et seront la condition sine qua non à son inclusion. Là encore, la fin ne justifie pas n’importe quel moyen et la priorité reste la même : qu’il soit heureux et apaisé. Qu’il ne disparaisse pas dans le flux de la normalité. Sinon, à quoi bon ?

 

Plus que jamais nous devons, lui et moi faire face à ce drôle de poison qu’il est si problématique de contrer, cette bien-pensance organisée qui fut — et qui est plus que jamais — l’une des plus grandes difficultés auxquelles j’ai été confrontée durant toutes ces années aux côtés de Théo.

Texte écrit en mars 2022 et édité par la revue Quarto en décembre 2022. 

 

S’il est un sujet complexe à aborder à propos du handicap, c’est bien celui de l’inclusion. Un terme qui se voudrait générique et détenteur d’une solution miraculeuse, mais qui n’est plus qu’un mot vidé de sa substance philosophique pour être converti en un slogan politique. 

  

Lorsqu’il s’est posé la question de la scolarité pour mon fils Théo, il était au plus fort de son autisme. Replié sur lui-même, supportant à peine le rythme familial que nous avions pourtant adapté à sa fragilité. Dérangé par le bruit, les odeurs, la lumière. 

Terriblement occupé à trouver les limites de son propre corps, tout à la fois incomplet et douloureux, aux prises avec des angoisses dont nous ne pouvons imaginer l’ampleur et qui l’amenaient parfois à s’automutiler. 

 Incapable de laisser sortir de lui des excréments qu’il voulait contrôler, souffrant de laisser entrer en lui des aliments qui le faisaient vomir. 

La bien-pensance empoisonnée