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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

Dans la vie de Théo, il y a eu l’avant et l’après écran. 

Avant, Théo semblait être débordé vers l’extérieur. Toujours à la limite de s’éparpiller en dehors de son corps. 

Ses cris, ses gestes désordonnés, ses yeux révulsés… c’était un appel à l’aide. La traduction d’une douleur dont je pouvais à peine imaginer la violence. 

Je voulais le prendre dans mes bras pour le rassurer, lui offrir ma chaleur, ma présence et mon amour infini. Mais un autre genre de cris retentissait alors, une autre forme d’angoisse. Le sentiment d’être envahi peut-être ? La peur que son corps disparaisse dans le mien ? 

Ma peau, mon odeur, ma voix… tout cela le blessait davantage. Je le sentais. C’était animal. Terriblement impératif. 

Hors de mon ventre, hors de mes bras, comment mettre à l’abri ce corps douloureux dont il semblait ne pas avoir pris la pleine mesure ? Qu’il ne semblait pas capable d’habiter ? Comment l’aider à contenir ses angoisses qui ressemblaient parfois à des chutes vertigineuses ? J’avais alors ce sentiment étrange de ne l’avoir pas mis entièrement au monde.

Durant de long mois il a fallu inventer afin de l'aider, sans toujours y parvenir. Régulièrement Théo hurlait sa douleur de n’être pas bien en lui-même.

Et nous, sa famille, témoins impuissants … Parfois aidants, parfois à l’inverse source d’une douleur supplémentaire, trop envahissants, trop bruyants, trop odorants.

  Journal d'un enfant autiste  Bordé par l'écran 

Et puis nous avons trouvé une façon de le porter qui semblait mieux lui convenir. Son dos contre notre ventre, ses bras et ses jambes repliés sur lui-même. Comme un escargot dans sa coquille, en position fœtal disaient certains. 

Moi, je préférais parler de regroupement. Regrouper des morceaux de son corps qu’il semblait ne pas reconnaitre comme faisant partie de lui. Alors il s’apaisait… parfois… Pas toujours. 

Soulagée de ses cris, la maison retentissait de notre inquiétude et de nos questionnements. A l’arrêt. A l’écoute de nos sensations multiples, les uns, les autres, et nous tous ensemble… sa famille, les yeux débordant de larmes parfois, la tête envahie par de multiples questions. Des questions dont nous n’aurions auparavant jamais soupçonné l’existence. 

Et ce petit être, si puissant dans sa douleur et sa détermination à l’exprimer ainsi. 

 Ce temps fut le plus douloureux je crois, mais également le plus formateur. 

Nous avons pris la mesure de notre responsabilité envers ce petit garçon si fragile et si particulier. Il nous a empêché d’ignorer toute sa singularité. 

 

Et puis il y a eu un après. 

Alors qu’il allait sur ses 4 ans, il y a eu un petit jeu d’alphabet électronique. 

Des heures à s’y lover, les yeux collés à l’écran, l’oreille attachée à la voix mécanique. Tranquille. L’ordre des lettres, les mots reconnus, toujours les mêmes. Apprendre en dehors de soi, en toute sécurité.  

Ensuite les dessins-animés. Envoutement, silence, observation. Debout devant la télé, les bras collés contre son corps, Théo est attentif, silencieux. Un pas vers le dehors, à l’abri dedans. Un cadre de couleurs vivantes. Des bruits dont il est le maître car il peut baisser ou même couper le son. Jusqu’à interagir, reproduire, imiter les dessins animés… Son corps de plus en plus présent. Il n’a plus peur de se mélanger… Car reste en permanence la vitre de l’écran. 

Se voit-il dans le reflet ? Est-ce une manière d’être dehors/dedans, sans risque de se perdre ? 

Après cela encore, les consoles de jeux… Pas d’odeur, pas d’affectif compliqué. 

Lui, la manette, l’écran…. Il est celui qui maîtrise ce qui se passe derrière l'écran, bien mieux en vérité que ce qui se passe devant. Ses mains agissent. Lien direct entre sa compréhension, sa volonté et les petits personnages qui prennent vie et qui deviennent ses compagnons de jeux. 

Lorsqu’il n’est pas devant sa console, il réinvente ces mondes avec des petits objets qu’il manipule sur les murs ou sur les tables. Une extension de ce jeu de console. Peut-être que l’écran est dans sa tête lorsqu’il joue comme ça. Nous ne pouvons pas interférer. Nous n’existons pas pour lui dans ces moments-là. Pas encore. 

 

Et enfin l’ordinateur. Comme Alice au pays des merveille. Un monde à sa mesure. Une porte à sa taille. 

Il y rentre entièrement. C’est là je pense, qu’il a fini de se mettre au monde. Tout a pu se faire à partir de là. 

Le langage, la lecture, la musique, l’art, les mathématique, l’astrologie, le monde animal et végétal… tout ce qui pouvait rentrer dans le cadre rassurant de cet écran de plus en plus élastique et ainsi venir jusqu’à lui. 

Et lorsqu’il en avait besoin, alors il venait nous demander de l’aide pour explorer son monde numérique. Faisant finalement, à sa manière, à son rythme, ce pas fondamental et libérateur lui permettant de conjuguer l’écran et le monde extérieur. 

 

Ses premiers vrais amis ont pris naissance là aussi. Derrière les caméras et les micros, lové sur son fauteuil de bureau, il est parti à l’aventure de ces amitiés essentielles. Certains pourraient les qualifier de virtuelles, mais ce serait nier leur importance, leur force, leur réalité. A l’autre bout de la France, ou peut-être même, juste à côté, ces jeunes qui rentrent par magie jusque dans la chambre de Théo par le biais du numérique, sont le monde à sa portée. 

Il sort de sa solitude et apprend comment fonctionnent les relations humaines. 

De plus en plus fort. De plus en plus savant… l’écran toujours à portée de main, Théo entre dans le monde par ce chemin. 

 

Et quand l’angoisse revient, plus forte, trop forte… alors il y a la caméra qui conjugue tout ce qu’il peut voir et traduire et tout ce qu’il doit être en mesure de contenir. 

Rapprocher, éloigner, enregistrer, oublier, garder, partager… 

L’écran comme un filtre unique. Un lien direct entre ce corps qui continue de se construire et ce monde en dehors qu’il doit parfois ralentir pour y accommoder ses pas et son devenir.