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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

Et puis un jour, en rangeant mes affaires, j’ai retrouvé mon carnet au fond d’un carton. 

Au-delà de l’émotion qui m’a empoignée en le parcourant à nouveau, j’ai su immédiatement que c’était comme ça que j’allais écrire mon livre. En m’appuyant sur les mots écrits à Théo. 

Je me suis installée à mon ordinateur et j’ai écrit. 

J’ai écrit durant 3 semaines non-stop. Plus de 8 heures par jour, parfois la nuit. Je ne pouvais plus m’arrêter.

Le livre était en moi, entièrement. Les mots étaient là, en attente. Je n’avais qu’à les déverser.

Je me souviens de ces derniers instants à la maternité avec Théo. Quelques minutes avant que le taxi vienne nous chercher pour nous ramener à la maison. 

Je le regardais dans son landau, sous sa couverture blanche. Ses yeux grands ouverts qui me traversaient littéralement, comme s’il pouvait voir le mur juste derrière moi. Comme si ce mur était plus réel pour lui que je ne le serais jamais. 

Je me souviens de mon cœur serré, de mon ventre noué, de mon âme déchirée. 

Je m’étais dit : « Qu’allons-nous faire. Qu’allons-nous faire toi et moi ? Comment vais-je m’occuper de toi si je ne peux pas te toucher » ? 

Je ne savais encore. Je ne savais pas que mes mots allaient remplacer ma peau. 

 

Je n’ai jamais pu serrer mon fils dans mes bras. Jamais. 

Mais j’ai toujours su l’entourer de mes mots. 

Alors j’ai écrit encore et encore… parce que cet amour, il était si fort qu’il ne pouvait se contenter d’exister juste pour nous. Il devait éclabousser le monde. Il devait s’offrir à d’autre, trouver sa voie au-delà de nos murs. 

L’amour n’est pas égoïste par nature. L’amour donne. 

Et moi, à travers les mots, j’ai toujours su donner. 

J’ai écrit, jour après jours, toujours plus et finalement, à mon tour, j’ai pris naissance à travers ces mots.

J’ai repris possession de ma vie. Je me suis redécouverte, mère, femme, citoyenne. 

Ces mots qui sortent de moi mais ne m’échappent pas, bien au contraire, ils s’enroulent en moi, comme un souffle vital… Et me permettent de donner un sens à cette vie particulière.

Et un jour mes mots ont fait échos. 

J’ai été invitée à témoigner lors de colloques, de conférences, de divers évènements autour de la question de l’autisme. 

J’y ai rencontré beaucoup de personnes passionnantes dont Jean-Claude Maleval, professeur émérite de l’université de Rennes 2 et spécialiste incontesté de l’autisme en France. J’ai tout de suite été bouleversée par ses théories qui venaient en tous points confirmer ma propre posture face à l’autisme. De son côté, il a accueilli mon témoignage avec soulagement, car je venais d’illustrer justement le bien fondé de ses théories par ma pratique. 

Nous sommes très vite devenus amis et nous avons eu souvent l’occasion de travailler ensemble. 

Un jour, il m’a dit qu’il fallait impérativement que j’écrive un livre sur notre histoire familiale aux-côtés de Théo. Nous avons besoin d’un tel écrit en France m’a-t-il dit. Tous les témoignages essentiels nous viennent pour la plupart des pays anglo-saxons. 

J’ai hésité, je l’avoue. Il me semblait que j’avais déjà assez écrit sur notre passé et que, d’une certaine manière, j’en avais fait le tour. Je voulais passer à autre-chose, me tourner vers l’avenir, militer, et surtout enseigner. 

Mais J-Claude Maleval a insisté. Il avait une manière incroyable de présenter les choses … comme s’il était évident pour lui que je n’avais pas le choix, que le chemin que j’avais suivi jusqu’alors m’amenait incontestablement vers l’écriture de ce livre. 

Alors je retournais chez moi et je cherchais comment l’aborder. Je me retrouvais sans cesse face au même problème. Comment faire pour ne pas me répéter, ne pas me plagier. Comment oublier les divers textes que j’avais écrits sur des thématiques particulières pour reprendre notre histoire à son début. Comment entamer ce livre en me détachant de tout ce que j’avais appris à propos de l’autisme. Comment parler des premiers jours, des premières années ?! 

Et c’est ainsi que j’ai pris l’habitude de lui parler. 

Tout d’abord pour mettre des mots sur ma solitude, puis sur mes inquiétudes, et ensuite pour remplir son silence. D’une certaine manière, ces mots dont il ne pouvait se saisir alors qu’ils me venaient si facilement, j’allais les lui offrir. 

D’ailleurs, ces mots, je n’étais la seule à leur accorder de l’importance. 

Famille de bavard, nous avions construit notre relation familiale à travers eux, et cela nous avait toujours réussi. Nous avons pu tout aborder, tout affronter, tout mélanger grâce à cette facilité avec laquelle nous avons pu nous parler et nous écrire. 

Lorsque deux ans après sa naissance, l’autisme de Théo s’est imposé à nous avec force et violence, lors d’un effondrement soudain, nous nous sommes réunis, le reste de la famille, pour mettre des mots sur cette douleur particulière. Nous avons mis également un mot sur l’état de Théo. Non pas pour l’enfermer à l’intérieur de ce mot ! Mais pour prendre appui dessus. Pour reprendre possession de notre responsabilité envers lui et dessiner un chemin à ses côtés. Un chemin qui pouvait dès lors tenir compte à la fois de nos capacités mais également de cette incontournable réalité. L’autisme de Théo. 

 

De mon côté, souvent lorsque je me retrouvais seule, je noircissais encore et toujours les pages de mon carnet. 

C’était une façon de créer un lien avec lui. Un lien qu’il n’était pas en mesure de m’accorder et que je fabriquais à ma manière. Je lui chuchotais mes impressions, mes rêves, mes inquiétudes… Je lui racontais nos journées ensemble. Et de les poser là, bien au chaud sur ces pages accueillantes, ça me donnait le sentiment que rien n’était perdu, qu’il y aurait peut-être un temps, plus tard, quand il serait prêt, où il pourrait les lire enfin, et réinvestir ces temps précieux et silencieux. 

 Les années ont passé et mes mots se sont transformés. 

Sans même que j’en sois consciente, certains ont débordé du carnet dans lequel très certainement ils ne trouvaient plus leur place. Me dire, ne suffisait plus. Il fallait maintenant que je permette à ces mots de parvenir jusqu’à l’autre. 

Alors j’ai participé à des forums, j’ai ouvert un blog, j’ai écrit un livre… Je voulais partager cette vie particulière avec Théo. 

Je voulais expliquer sa particularité et tout ce qu’il nous apportait. Je voulais dédramatiser, détromper, informer, enseigner… 

Parce que ce chemin aux côtés de mon fils était si riche, si incroyablement vivant qu’il me paraissait impossible de ne pas le partager, tout simplement. 

Sans nier les combats qui bien souvent accompagnent les familles des enfants différents, sans nier les douleurs liées aux troubles spécifiques de Théo : Ses angoisses, ses cris incessants, ses phobies, ses absences… Je voulais aussi montrer la beauté de son monde et l’importance de respecter sa façon d’être et de faire. 

Car du jour où nous avons pris cette décision de ne pas affronter l’autisme de Théo, comme s’il était une maladie à éradiquer… mais de l’accompagner comme étant une partie intégrante de son identité, alors tout s’est apaisé. 

La souffrance s’est éloignée, la peur s’est effacée, la colère s’est estompée. L’amour a repris sa juste place au sein de la famille. 

Lorsque Théo est venu au monde, avant toute autre chose, il y a eu la joie. 

Comme à la naissance de chacun de mes enfants, j’ai été emplie par un sentiment incroyablement puissant en prenant conscience de l’importance de son être : Il venait de changer le monde à tout jamais, comme chaque fois qu’une nouvelle vie arrivait sur terre. 

J’avais cette vision particulière… d’un monde qui devait étirer ses murs, agrandir son espace… un monde qui venait d’ouvrir ses bras pour l’accueillir.

Pour autant, alors que j’étais débordée d’amour, je n’ai jamais eu le sentiment que Théo m’appartenait, pas plus que ces frères et sœurs avant lui, même si d’une certaine manière il était une partie de moi. Non, il appartenait au monde et moi, je n’étais là que pour l’aimer et le guider.

Journal d'un  

enfant autiste  

Bordés par les mots 

J’avais cette vision particulière… d’un monde qui devait étirer ses murs, agrandir son espace… un monde qui venait d’ouvrir ses bras pour l’accueillir. Pour autant, alors que j’étais débordée d’amour, je n’ai jamais eu le sentiment que Théo m’appartenait, pas plus que ces frères et sœurs avant lui, même si d’une certaine manière il était une partie de moi. Non, il appartenait au monde et moi, je n’étais là que pour l’aimer et le guider. 

 Je regardais ce petit homme dans son lit et je mesurais ma chance d’être en mesure d’offrir cette vie et de la recevoir. 

Les mots se bousculaient en moi avec une force incroyable et c’était terrible, presque douloureux, de n’avoir personne à mes côtés pour les partager. 

Car Théo est né le 15 janvier au cœur de la Savoie profonde. Une Savoie recouverte de neige depuis des jours déjà. Mes amis et ma famille qui habitaient, soit trop loin, soit dans les terres enneigées, n’ont pas pu me rendre visite et j’ai passé les deux premiers jours de la vie de Théo, seule avec lui. 

Maintenant, 14 années plus tard, je réalise que c’était un clin d’œil vis-à-vis de l’incroyable chemin que nous allions emprunter lui et moi. Mais à cet instant, ces mots… ces mots puissants, impératifs… à défaut de pouvoir les dire, et bien je les ai écrits. 

J’ai toujours aimé écrire et cela d’aussi loin que je me souvienne et j’avais toujours sur moi des carnets, des blocs, des cahiers sur lesquels je pouvais m’épancher dès que l’envie m’en prenait. J’ai ouvert un carnet vierge que l’une de mes filles m’avait justement offert pour Noël, quelques jours auparavant, et j’ai écrit : 

 

« Tu es né il y a quelques heures à peine… petit être si précieux, déjà plein de ton importance, de ton unicité. Le monde n’est plus le même car dorénavant tu en fais partie et ta simple présence le transforme. 

Tu n’es pas juste mon fils, tu n’es pas juste le dernier de la fratrie ! Tu n’es pas juste le fruit d’une rencontre, ni même le résultat de notre désir, bien qu’à y regarder de près, c’est du jour où nous avons parlé de l’idée d’un enfant que ta vie a commencé. Non, tu es toi. Juste toi. Entièrement toi. Un tout petit être affublé de notre amour, de notre bonheur, de nos espoirs sans frontières précises. 

Tu es… et cela me suffit. Dors petit ange blond. Dors… tu auras bien assez du reste de ta vie pour exister. Et moi… pour te soutenir ». 

 

Pourtant, dès le lendemain, quelque chose m’a alertée. Un refus d’être touché. Un espace qu’il m’imposait. L’expression d’une douleur à mon approche. Il était difficile de nommer cette impression. Comme si le simple fait de la décrire allait la rendre définitivement réelle. Pourtant, là encore, dans la solitude de cette chambre d’hôpital… plus seule que jamais en vérité, aux-côtés de mon enfant qui semblait vouloir refuser ma présence… j’ai tenu le coup en m’accrochant aux mots. Comme à une rampe, à une corde. Comme à un cordon ombilical qui me maintenait en vie. 

J’ai repris mon carnet et j’ai écrit à nouveau : 

 

« Tu t’es enfin endormi.Je ne comprends pas bien ce qu’il se passe. J’ai renoncé à te porter tant cela semble te déranger. Mais cela me fait souffrir, c’est vrai. Est-ce que déjà tu n’aimais pas être dans mon ventre ? Pleurais-tu déjà sans que nous puissions t’entendre ? 

Ton père n’a pas eu le temps de venir nous rendre visite, pas plus que tes frères et sœurs. La neige n’arrange rien. 

Pas d’amis. Pas de famille. Je me sens seule. Seule avec toi. 

Étrange sentiment, pardonne-moi. 

Je vais tâcher de dormir aussi ».