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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

Il n’y a pas si longtemps, l’autiste était considéré comme déficient mental. S’il avait de la chance, il venait au monde dans une famille aimante et apte à s’occuper de lui aussi bien que possible. Ce choix se faisait souvent au détriment du couple voire de l’équilibre familial, laissant derrière, toute possibilité d’un enseignement quel qu’il soit, laissant devant, tout espoir d’un quelconque projet d’indépendance. 

L’enfant laissé libre certes, mais sans prise en charge spécifique à son état, finissait en fin de compte par devenir effectivement déficient mental. La boucle était bouclée. 

Les parents vieillissant, les symptômes de l’autisme grandissant, l’enfant devenu adulte était placé en institution, médicamenté pour calmer ses angoisses gênantes et oublié-là jusqu’à son décès. 

Pour les familles plus démunies, l’enfant était institutionnalisé dès son plus jeune âge et oublié dans des conditions de vie lamentables voire inhumaines. Une vie gâchée… plusieurs vies gâchées. C’était la faute à pas de chance. 

Théo vu par se soeur Fanny

L'autisme d'hier à aujourd'hui 

  

Et puis en 1943, Léo Kanner et Hans Asperger jetèrent un nouvel éclairage sur ce trouble pour le moins particulier. 

Pour Kanner, qui le nomma : trouble autistique du contact affectif, puis, autisme infantile précoce (qui devint par la suite : autisme de Kanner), il s’agissait d’un trouble inné ne permettant pas l’intelligence, non pas à cause d’une atteinte intellectuelle de la personne, mais plutôt à cause d’une psychopathologie empêchant ses capacités de s’exprimer. 

D’après son étude portant sur 11 enfants suivis durant 5 années, il en concluait entre-autre, que la plupart du temps, ces enfants, souvent doués d’une très grande mémoire, étaient abimés par des parents qui ne se souciaient que d’encourager leurs performances au détriment d’une relation chaleureuse et humaine. A noter que c’est Kanner qui, le premier, inventât le terme de "mère frigidaire". 

Mais ce qu’il est important de souligner dans les travaux de Kanner, c’est d’une part le fait de considérer l’autisme comme un trouble primaire et non plus un symptôme secondaire de la schizophrénie infantile et d’autre part de rechercher les symptômes communs aux 11 enfants qu’il étudiait sans chercher à les comparer à des adultes en devenir, ce qui était précurseur à l’époque et sujet à bien des informations pour mieux comprendre ce syndrome. 

Dans le même temps, Hans Asperger émit l’hypothèse que l’origine de l’autisme était organique, faisant cette remarque que bien souvent les parents des enfants autistes étaient des parents particuliers, originaux, ayant certains traits autistiques eux-mêmes ! Cela tendait vers l’idée d’une hérédité plutôt qu’une responsabilité psychoaffective. Il a étendu la classification du terme en parlant de "psychopathie autistique" caractérisée par des bizarreries et des aptitudes intellectuelles pouvant aller de la débilité au génie. 

La forme d’autisme auquel il s’est intéressé et à laquelle il a donné son nom décrit des enfants avec une forme de langage souvent précoce et particulièrement élaborée mais ne leur servant pas comme outil de langage ni de communication sociale. (Il est à noter que les travaux d’Asperger ont été publiés à la même époque que ceux de Kanner, mais pour des raisons de mauvaise traduction, ils ont été mal compris et tombèrent dans l’oubli jusqu’en 1981, date à laquelle Lorna Wing les remettra au goût du jour). 

  

En 1950 Bruno Bettelheim réfuta la thèse d’Asperger et imposa rapidement une conception entièrement psychanalytique élaborée à partir de son expérience des camps de Dachau et Buchenwald. En effet, il avait remarqué la similitude de comportement entre certains déportés et les enfants autistes. De là, il en a conclu que l’environnement était le facteur déclenchant de l’autisme, et donc, les parents, la mère le plus souvent, les responsables. Partant de cette théorie, il a créé "l’orthogénic school" dans laquelle il a reçu quelques enfants particulièrement atteints pour se substituer aux familles et s’est évertué à créer un contexte qu’il pensait favorable au bien-être de ces enfants. 

Bien qu’il faille impérativement remettre ces situations dans leurs contextes, temporels et expérimentaux, on sait à quel point ces différentes postures ont été désastreuses pour les familles, pour les mères surtout, qui se virent accusées des pires maux alors qu’elles aimaient sans aucun nul doute leurs enfants et qu’elles souhaitaient le meilleur pour eux.  

Il n’est pas question ici de faire le procès ni des recherches, ni des conclusions, ni des moyens mis en œuvre à cette époque. Tous ces chercheurs tâtonnaient au sein d’une médecine psychiatrique balbutiante et des moyens technologiques assez pauvres. Il n’est jamais aisé d’être pionnier dans le domaine de la science. Rajoutons à cela le contexte social et politique de l’époque qu’on connait parfaitement. Pour autant, il est important de comprendre ce cheminement qui a conduit les familles à une méfiance envers la psychiatrie et la psychanalyse, d’autant que jusqu’à tard, et encore aujourd’hui hélas, en France et dans quelques pays européens, certains spécialistes isolés restent lourdement attachés à ces valeurs d’un autre âge et continuent de rendre les parents responsables de l’état de leur enfant et même si la grande majorité des écoles psychanalytiques ont complètement révisé leur posture pour une approche infiniment plus adaptée, bel et bien, le mal et fait et la méfiance est grande chez encore beaucoup de parents. 

  

C’est dans ce contexte que s’installa tout doucement l’hégémonie comportementale. Dans les années 80, le terme de "psychose autistique" a été remplacé par "trouble global du développement", ce qui a permis à l’autisme de sortir du cadre psychique pour se définir comme un handicap du développement cérébral. 

Outre des raisons de tâtonnements théoriques sur les différentes vues psychanalytiques, les raisons de ce changement de cap sont essentiellement socio-économiques. En effet, aux Etats-Unis, le statut de handicap offrait infiniment plus de droits que celui de maladie mentale. Les parents ont pu contraindre les assurances de rembourser les dépenses liées à ce handicap, alors que ces dernières n’étaient pas tenues de le faire en cas de pathologie mentale mal déterminée. 

Mais surtout, cette nouvelle façon de percevoir l’autisme donnait aux familles le sentiment libérateur d’être en mesure d’intervenir. 

Loin des prises en charges hospitalières qui les tenaient éloignées, les méthodes comportementales florissantes leur offraient enfin cette possibilité d’être acteurs de la prise en charge de leur enfant. Les parents passaient donc de coupables à sauveurs, comment résister ?! 

Mais pour que cela fonctionne, les professionnels comportementalistes se devaient de théoriser le plus possible, créant une méthode apte à être comprise, reproduite, et soyons honnête, à être vendue. On s’est éloigné de la personne handicapée pour s’attacher à un handicap entravant une personne. Un handicap traduit par des comportements inadaptés qu’il fallait combattre, voir abattre. 

Le terme même de « comportementalisme » en dit long sur la manière d’aborder l’autisme qu’on réduit donc à une longue liste de symptômes à faire disparaître et non plus à une personne se réfugiant derrière des comportements pour compenser un mal être qu’on ne comprend pas bien. Les raisons d’être de ces comportements n’intéressent pas, ils dérangent. Ce que veulent les parents, c’est vivre à nouveau, retrouver la paix, retrouver l’espoir et qui pourrait les en blâmer ?! 

C’est d’autant plus tentant de se diriger vers le comportementalisme que le temps d’attente pour une éventuelle prise en charge en institution ne cesse de croitre et que toutes les prises en charges psychanalytiques sont systématiquement diabolisées par les lobbyings comportementaux qui se multiplient de jour en jour. 

C'est sur ce terrain fertile que s'installent en France comme ailleurs, les méthodes ABA, TEACCH, PECS, MAKATON… Des méthodes qui toutes s’attèlent à aider les familles à redresser le comportement de leur enfant et libèrent les institutions de ces cas difficiles, délicats et souvent source d’échec. Tout le monde semble gagnant. 

  

Sauf que bien sûr, rien n’est aussi simple. 

Tout d’abord, le comportementalisme n’est pas aussi miraculeux qu’il le prétend. Aux Etats-Unis il n’a plus le vent en poupe depuis bien longtemps, dénoncé ouvertement par des autistes Asperger devenus adultes et célèbres… (Jim Sinclair, Donna Williams, Michelle Dawson… pour ne citer qu’eux). ABA plie bagage et s’installe donc en France ou il fait sensation. 

Mais ne nous trompons pas sur les raisons de cet engouement pour le comportementalisme. Malgré quelques chiffres avancés à la va-vite par les dirigeants de ce nouveau courant, les résultats obtenus avec cette méthode ne sont en rien époustouflants et ne justifient certainement pas son coût faramineux. Non, outre le fait qu’elle propose enfin quelque chose à des parents qui n’avaient nul endroit où aller pour aider leur enfant, si cette méthode parvient à s’installer de la sorte, c’est parce que justement, c’est une méthode. Rien ne plait plus aux dirigeants qu’une liste de faits reproductibles. Faire ceci, faire cela, éviter ceci, éviter cela. Cela fait scientifique, Cela fait sérieux. On peut faire et réclamer des comptes. 

Quoi qu’il en soit, il ne faudra pas longtemps avant que les clivages s’installent, alourdissant encore d’avantage un climat pourtant déjà bien douloureux. D’un côté les psys, de l’autre les comportementalistes. Les familles sont tenues de choisir. 

  

Mais certaines familles ne choisissent pas. Elles inventent. Loin de cette querelle de chapelles insupportable et épuisante, elles prennent appui sur les connaissances accumulées et sur leur instinct et leur volonté de ne pas abandonner leur enfant aux incompétences gouvernementales. Seules ou accompagnées, elles regardent, apprennent, et s’engagent sur le chemin de leur enfant. 

A l’opposé de ce que préconisent les comportementalistes, elles s’appuient sur ce qui apparaissait comme des obsessions et qu’elles considèrent dès lors comme des moyens qu’a trouvé leur enfant pour compenser ses angoisses, ses peurs, sa difficulté d’être au monde. 

Dans le respect le plus absolu, elles décident de faire le pari de lui faire confiance, et de l’accompagner au long de ses particularités. Loin de toute idée de "réussite comptable", et certainement pas de "guérison", ces parents ont mis en place une manière d’être afin que leur enfant retrouve non pas un comportement conforme à la norme, mais un état dans lequel ce comportement n’aura plus de raison d’être. A tâtons, ils tentent de comprendre ces comportements qui deviennent par rebond le vecteur d’une meilleure compréhension. Un comportement non plus à faire disparaître ! Mais à lire, à rejoindre si besoin est, afin de créer un climat de confiance absolument indispensable pour vivre aux côtés de leur enfant. 

Des inventions. 

Des inventions libres et magnifiques. Des inventions qui piochent à droite et à gauche sans se soucier d’appartenir à un genre, à une école, à une méthode. Un peu de comportementalisme par ci, comme un outil et non une fin en soi. Un peu de psychanalyse par-là, pour tenter de comprendre, de déchiffrer, de s’y retrouver. Un peu de chaque chose qui semble jour après jour les ramener auprès de leur enfant. Pour certains ce sera les dessins animés, pour d’autres des chiffres, des horaires de chemin de fer, des machines à laver, un animal de compagnie, un objet particulier… 

  

Au sein de la famille, l’espoir prend racine et l’avenir peut se dessiner. Mais au sein de la société, rien n’est encore gagné, car si aujourd’hui le mot "autisme" est dans toutes les bouches, qu’elles soient politiques, médicales ou populaires, la personne autiste elle, décidément, n’a toujours pas le droit d’être simplement qui elle est. Elle doit dorénavant correspondre à l’image véhiculée au fil des amendements, des découvertes, des idéaux, des lobbyings, des buzz sur Internet… doué, génial, talentueux, étrange et quoi qu'il en soit : handicapé. 

  

Alors je me pose une question. 

Ne nous sommes-nous pas trompés de champ à explorer ? 

Le travail à faire n'est-il pas en nous… bien plus qu’en eux ?