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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

  Les mères courage n'existent pas 

Mère courage. 

C’est un terme que j’entends depuis longtemps déjà et auquel, durant de longues années, je n’ai pas vraiment prêté attention. 

Évidemment, je savais qu’il y avait des familles qui se débattaient avec des situations difficiles, pour ne pas dire impossibles, des enfants malades ou handicapés, des décès insupportables, des drames à peine imaginables. J’en avais quelques-unes dans mon entourage de ces familles, comme tout le monde, et elles avaient toute ma compassion et parfois même, mon admiration. 

Souvent j’essayais de m’imaginer ce que j’aurais fait ou dit à leur place, quel genre de mère j’aurais été avec un enfant différent. Mais c’était hors de ma portée bien sûr. Comment imaginer ce qu’on n’a jamais traversé ? Pourquoi s’infliger cette douleur sans raison ? 

A l’abri dans ma famille sans soucis, je n’avais pas à être une de ces mères particulières, je n’avais qu’à être une maman et ça m’allait bien comme ça. Il ne me semblait pas nécessaire de me rajouter un qualificatif supplémentaire, ni dans un sens ni dans un autre. 

Et puis j’ai eu mon petit dernier, autiste et fragile, et ma vie s’est transformée. J’ai dû adapter ma manière d’être maman, j’ai dû revoir mes priorités, mes obligations, mes interdits, mes projections vers l’avenir, et plus que tout, ma définition du mot : normalité. Pour autant, je ne me sentais ni meilleure ni pire qu’avant et puis, avais-je le temps ou le courage de me poser ce genre de questions ? Était-ce cela qui comptait ? Était-ce cela qui allait valider mes choix ? Mes décisions ? Mes actions ? Je puisais ma force et ma détermination dans mon amour inconditionnel pour mes enfants, tous mes enfants, et aussi dans ma capacité à partager et à témoigner. 

Dès que cela a été possible, je me suis extirpée du silence et de la solitude qui engloutit bien trop souvent les familles souffrantes, et j’ai mis des mots sur notre vie. Sur nos combats, nos échecs et nos réussites. 

A bien y regarder, ce n’était pas de la force ! Ce n’était pas du courage ! Non, c’était ma solution pour tenir la route, pour me libérer des idées noires et d’une certaine forme de désespoir. C’était le seul moyen que j’ai trouvé afin de m’extirper de ma stupéfaction. 

Comme le faisait mon fils pour vivre au-delà de ses angoisses autistiques en inventant une autre manière d’être au monde, j’ai, de mon côté, consolidé mon existence d’autant de mots que j’ai pu trouver et entremêler. D’autant de mots que j’ai pu partager. C’était cela finalement, ma façon d’être cette mère particulière. 

Et voilà qu’à plusieurs reprises certains ont voulu me faire rentrer dans cette catégorie de "mères courage", jusqu’à m’inciter lors de différentes interventions publiques à valider cette appartenance, jusqu’à m’inviter à rejoindre un groupe facebook sensé nous réunir sous cette appellation. 

Voilà qu’on me collait une étiquette, à moi qui me battait depuis des années pour qu’on retire celle que la médecine voulait accoler à la vie de mon fils. Voilà qu’on m’affublait d’un titre, comme on aurait épinglé une décoration honorifique au revers de ma veste. Attendait-on de moi un mot ? Un remerciement ? Quelques phrases que j’aurais prononcées, la larme à l’œil et le cœur gonflé de reconnaissance ? 

Difficile de me dépêtrer de cette situation. 

Je sais, pour faire partie du club très particulier des parents d’enfants autistes, à quel point les familles sont fragiles, emplies de douleurs et de peurs aussi. A quel point elles ont traversé des obstacles épuisants dont l’injustice et le manque de reconnaissance sont les points d’ancrage quasi systématiques. Des familles sur le fil… entre douleur et colère. Des familles, dont je suis… susceptibles. On ne se désolidarise pas si facilement de ces gens-là, d’autant qu’on est sensé se battre pour la même cause ! Qu’on doit pouvoir compter les uns sur les autres et faire front commun. 

Déjà on m’avait écartée car je refusais et combattais le comportementalisme tout puissant. Déjà on ne comprenait pas que je réfute la scolarisation systématique et mette en garde contre l’inclusion à tout prix. Déjà on me montrait du doigt à cause de mes amitiés avec les psys, toutes obédiences confondues et mes lectures avouées des travaux de Bettelheim ! Allais-je encore une fois refuser de me joindre aux autres ? Allais-je à mon tour creuser plus profond encore le fossé qui séparent entre-elles les familles d’enfants autistes ? 

Mais finalement ça s’est fait tout seul. C’est souvent comme ça dans la vie. Quand les douleurs nous obligent à des choix catégoriques, les priorités finissent par se dessiner d’elles-mêmes : Je ne suis pas une mère courage. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il existe des mères courage. Il y a des mères, il y a des pères, il y a des familles, il y a des personnes. On fait comme on peut à un instant donné avec ceux qui sont autours de nous, dans une société particulière, avec notre passé et notre avenir, avec nos forces et nos faiblesses. 

Je refuse, je refuserai toujours qu’on puisse imaginer qu’il y a une façon d’aimer qui soit plus honorable qu’une autre ! Je refuse cela aussi fortement que je refuse de valider une méthode, une manière de faire. 

Je refuse d’être l’emblème d’une idéologie douteuse et sectaire ! 

Je refuse d’être autre chose que la femme et la mère que je suis, porteuse d’un message d’espoir et d’une vision positive de la vie. Je veux pouvoir dire ce que je suis et ce que je fais sans que cela amoindrisse d’autre manières d’être et de faire ! 

Je porte mes mots. Et ce sont MES mots ! Ce n’est ni une victoire, ni une solution, ni une clé et ce n’est certainement pas un jugement pas plus qu’une condamnation ! C’est juste une voix parmi d’autre voix. C’est juste une vie parmi d’autre vies. C’est juste une mère qui parfois a du courage et d’autre fois non. 

J’ai tenu bon sur certaines choses, trop peu si on veut mon avis, et j’ai lâché sur d’autres, sur beaucoup d’autres ! Et c’est ce que nous faisons tous. Chacun à notre manière, chacun pour nos raisons. Chacun armés de nos forces, affublés de nos faiblesses. 

Alors non. Il n’y a pas de mères courage. 

Il y a des mères, et c’est amplement suffisant pour aimer son enfant.