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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

Journal d'un enfant autiste Portrait en trois instantanés  

 ***   4 avril 2011 (Théo a un peu plus de 7 ans) 

  

Il y a une semaine, Théo a perdu une nouvelle dent. 

Comme nous n'avions pas prévu le cadeau de la petite souris, nous n'avons pas eu d'autre choix que de l'emmener avec nous au magasin de jouets. 

Nous voilà donc chez "K*** J***", royaume des enfants s'il en est. Il y a comme de l'électricité en chacun des enfants que nous croisons, du bonheur, du rêve... et plus que tout, de l'envie. 

Mais pas chez notre Théo. Théo ne regarde ni à droite, ni à gauche. Il ne s'extasie devant aucun jouet, d'ailleurs les remarque-t-il ? 

Ce qu'il cherche, c'est la petite table sur laquelle sont installés les rails d'un train électrique. Cette même table qu'il a découverte la première fois qu'il est venu dans ce magasin, il y a environ 3 ans... Cette table à laquelle il joue à chaque fois que nous venons. Encore et toujours, avec le même bonheur simple, la même satisfaction.

Nous le laissons là, sachant qu'il n'ira nulle part ailleurs et nous nous mettons en quête d'un jouet qu'une petite souris pourrait apporter jusqu'à sa table de nuit.

Après avoir opté pour deux beaux avions de ligne, nous prévenons Théo que nous partons dans 5 minutes. 

Le temps de régler nos achats, Théo nous rejoint sans discuter. 

Nous retournons à la voiture, puis à la maison. 

 

A aucun moment, Théo ne s'est demandé pourquoi nous étions venus dans ce magasin. 

Il ne nous a rien demandé, n'a d'ailleurs regardé aucun jouet. Il n'a semblé voir aucun des autres enfants, des enfants pourtant surexcités, bruyants, extrêmement présents ! 

Lorsqu'il a découvert ses petits avions le lendemain, il était fou de joie. Il n'a absolument pas fait le rapprochement avec notre présence au magasin de jouets la veille. 

 

 

 ***   17 mai 2011 

 

Il y a 3 jours, notre vieux rat Teddy est mort. 

Teddy, le rat que nous aimions tous particulièrement, mais que tout le monde savait être mon rat... 

Il me suivait partout, dormait avec moi, passait des heures sur mes genoux, mes épaules, dans ma veste. 

Il répondait lorsque je l'appelais, venait me faire ma toilette. 

Teddy, une partie de moi. 

 

Lorsqu'il est mort, j'ai été comme à l'arrêt pendant toute une journée. 

J'imagine que tout le monde ici a fait attention à moi encore plus que d'habitude. 

Peut-être même Théo ! Je ne sais pas trop en vérité. 

Je ne saurais dire si Théo a réalisé que le départ de Teddy signifiait pour moi autre chose que pour lui. 

Est-ce qu'il s'est rendu compte de cet attachement particulier qui me liait à ce petit compagnon ? 

Est-ce qu'il avait une idée de l'affection que je lui portais ? 

 

Et puis le lendemain il est allé rendre visite à nos voisins. 

Ils ont demandé à Théo : 

- Et maman ? Comment va-t-elle ? 

- Bah... Teddy est mort... a-t-il répondu. 

 

Depuis, je ne cesse de penser à ce que cela signifie, de progrès, d'ouverture, d'empathie aussi. 

Ce fut mon rayon de soleil de la journée. 

 

 

   ***   28 juin 2011 

 

    "Pourquoi les autres enfants ont peur de moi" ?  

Demande Théo à son grand frère...  qui ne sait quoi répondre tant cette question lui  fait mal. 

C'était lors d'un vide-grenier et pour la deuxième fois dans l'après-midi. Théo venait d'être refoulé par d'autres enfants à tel point que nous avons dû intervenir. 

"Pourquoi je suis autiste maman" ? 

"Je ne veux pas être autiste." 

Les questions fusent, presque quotidiennes... 

Viennent-elles de lui ? 

Que se dit-il entre lui et les enfants du quartier lorsque nous ne sommes pas là ? 

Quel message reçoit-il  de l'extérieur ? 

Quelle image a-t-il de lui ? 

Comment savoir si sa question est celle que nous entendons ? Celle que nous comprenons ? 

Nous lui parlons de sa différence. Ça semble le satisfaire pour l'instant... Mais un doute me ronge... Sait-il réellement ce qu'est la différence ? Arrive-t-il à la percevoir lorsqu'il est concerné ? 

Il y a deux jours, alors qu'il comptait, comme à son habitude, le nombre de secondes qu'il me fallait pour le mettre en pyjama en tapotant des doigts sur le lit,  je lui ai fait remarquer que ce qu'il faisait là, c'était une partie de son autisme. 

"Toi, tu as besoin de compter tout ce que tu fais, tout ce que nous faisons. Je ne dois pas te parler pendant que tu comptes, parce que c'est important pour toi... les enfants qui ne sont pas autistes n'ont pas besoin de faire ça...  ils se mettent en pyjama sans même y penser ! Ils peuvent parler d'autre chose pendant ce temps". 

"Ah ! d'accord !" m'a-t-il répondu. 

Je crois qu'il a compris l'exemple. 

Pour autant, qu'est-ce que cela veut dire pour lui ? Peut-il relier ceci à une normalité ? 

Est-ce qu'il peut avoir une juste vision de son handicap ? 

Est-ce qu'il est conscient de ce qui le diffère des autres ? 

D'où vient sa souffrance ? 

Comment, à 7 ans, peut-on gérer cette terrible réalité : les autres enfants ont peur de moi, parce que je suis différent ? 

Pourtant Théo est dans une bonne période en ce moment, il semble heureux. 

Il passe de bonnes journées, calme, souriant, confiant. 

Il n'y a ni pleur, ni crise, ni enfermement ! 

Les régressions sont loin, à l'inverse, il s'ouvre au monde. Il est curieux de tout, dynamique, volontaire. 

Il accepte nos explications, il accepte d'être contredit, il accepte les frustrations, les attentes. Il montre quelques signes de contentement et s'est même réjouit d'une surprise qu'on lui a faite. 

Je n'ose pas profiter de l'occasion pour trop le câliner... j'ai peur que ce simple geste de ma part le fasse se refermer comme une huitre. 

Parfois le soir, lorsque je lui dis bonne nuit, je lui caresse la tête, vite fait... ça n'a pas l'air de le déranger. 

Lorsque je lui fais la toilette aussi, un p'tit bisou rapide... il ne dit rien. 

Mais plus ? J'aurais l'impression de profiter de la situation... pour un besoin égoïste. 

Tant pis. Son sourire, ses yeux rieurs, ses jeux, ses questions... Tout ça me comble. 

Hier je le regardais alors qu'il jouait sur sa tablette...  je me suis dit : 

"Peut-être ai-je un enfant autiste, parce que je suis de taille à l'aimer ainsi" ! 

C'est bête, je sais. Mais ça fait du bien parfois de trouver des réponses même lorsque d'évidence il n'en existe pas.