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En confinement
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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

Recroquevillée 

C’était beau.
Mais bien sûr, le temps et l’ennui sont venu gratter la surface vernie de cette unité idyllique.
Et surtout, nous avons vu débarquer dans notre ilot épargné, quelques familles de touristes qui ont su échapper à la vigilance de la police, pour venir s’installer dans la résidence aux premiers jours des vacances de pâques. Dès lors, le ver était dans le fruit, faisant apparaître quelques tâches inesthétiques, quelques odeurs nauséabondes… quelques pourritures inévitables.
Je vais vous dire… ma première réaction a été la peur, et puis la colère. Ces gens, dont je ne savais rien d’autre que le fait qu’ils pénétraient chez nous (chez nous ?) en pleine période de confinement, a fait exploser en quelques secondes le sentiment de sécurité qui m’était si confortable, et le fait qu’ils l’aient fait alors que c’était interdit m’a permis d’héberger ces sentiments en toutes légitimité. Nulle compassion à leur encontre. Je voulais qu’ils partent, peu importe où, comment et pourquoi et ce, malgré le fait qu’il y ait des enfants parmi eux.
Heureusement, ces sentiments n’ont pas duré. Assez vite, j’ai su m’invectiver pour que ma raison et mon éthique personnelle mettent à mal la plupart des ressentis qui avaient envahi mes pensées. Mais je ne suis pas près d’oublier m’être surprise en plein flagrant délit de "peur de l’étranger", "refus de l’autre", "tentation de dénoncer "… et croyez-moi, je n’étais pas fière de moi.
Alors j’ai travaillé sur moi, j’ai repris la mains sur ma conscience et j’ai pu rééquilibrer autant que possible la raison et la peur. Parce qu’au fond, je savais bien qu’il n’y avait pas de réel danger et que ces personnes avaient une histoire qui expliquait leur venue ici. Nous étions toutes et tous sur le même bateau. En aucun cas je ne voulais être celle qui le ferait chavirer.
A nouveau, j’ai pu être sereine, en accord avec moi-même.  

Et puis j’ai entendu les murmures s’élever des maisons alentours… des chuchotements tout d’abords, puis des remarques de plus en plus assumées… Des regroupements de personnes qui m’étaient chères se sont formés pour parler de ces nouveaux venus qui avaient franchi nos lignes sans que nous les ayons invités à le faire. Très vites, ils ont été nommés : les autres.
En quelques heures, le voile s’est levé sur notre petite communauté… comme une lumière noire, révélatrice des empreintes et des pensées…
Tout à coup, les frontières se sont redessinées entre nous. À nouveau nous n’étions plus du même bord politique, à nouveaux nos différences ont réinvesti leur réalité palpable.
J’ai pensé à la France de 1940. La frontière entre le bien et le mal était à la fois limpide et implacable, et peu importe l’histoire qui amène les uns et les autres à la franchir dans un sens ou un autre ! Il est bien toujours question d’un choix et d’une conscience.
Aujourd’hui je souffre. Le virus n'a emporté aucun de mes proches et je croise les doigts pour qu’il en soit ainsi jusqu’au bout.
Mais j’ai perdu des amis dans mon petit village… parce que certains pour qui j’ai acheté du pain hier, certains qui m’ont ramené des fruits, d’autres à qui j’ai sorti le chien, ou d’autres encore qui m’ont offert leur soutien, parlent aujourd’hui de dénoncer, de renvoyer, de séparer, d’isoler. Certains que j’aimais viennent en quelques jours à peine de se dévêtir d’une part essentielle de leur humanité et je ne sais plus quoi faire des sentiments que j'ai pour eux.
Heureusement, beaucoup d’autres ont tenu bon !! Je pense à ces deux mamies que j’adore et qui sont restées égales à elles-mêmes, bonnes, généreuses, justes, peut-être parce qu'elles étaient déjà entrées en résistance pour faire admettre leur couple atypique (?) Je pense à mon amie juste en bas de chez moi pour qui j’ai toujours eu une tendresse infinie, qui repousse sans relâche avec sa droiture et sa générosité les quelques pensées sombres qui parfois s'invitent dans sa peur légitime. Je pense à cet homme que je découvre aujourd’hui, qui jusqu’alors ne m’inspirait pas confiance et qui, haut et fort en a remis certains à sa place en parlant de compréhension et d’attention. Je pense à mon fils surtout, qui, à 16 ans, parle du devoir d’entraide et d’acceptation de la différence.
Ma résidence finalement, si humaine dans son imperfection, qui me permet d’observer le monde en son entier à travers quelques mètres carrés. Ma résidence dans laquelle, ce virus agit comme une loupe, un rappel de notre fragilité.
Un virus qui doit impérativement nous alerter sur nos sombres recoins et notre obligation morale de les refréner.
Alors bien sûr, je pense à ce livre magnifique, essentiel… qui est mon livre de chevet depuis 15 ans : Un si fragile vernis d’humanité de Michel Terestchenko
Je vous encourage à la lire !
Il le dit :
"Héros ou salaud ? C’est toujours une décision initiale, à peine perceptible, qui décide du côté dans lequel, une fois engagé, on se retrouve in fine". 

Plus le confinement perdure, plus je me recroqueville entre mes 4 murs, eux-mêmes recroquevillés dans une petite résidence qui abrite une petite centaine d’habitants, elle-même recroquevillée au sud du sud de la France.
Une boite dans une boite dans une boite, qui me permet de fractionner l’espace et le temps et ainsi, les considérer à ma mesure, gérables.
Cette résidence, c’est un havre de paix pour mon fils et moi. Il y a des allure de village ici, où la promiscuité interdit l’oubli de l’autre et pour peu que l’on soit, comme moi, particulièrement sociable, c’est une vraie bénédiction.
Il y règne globalement une bonne ambiance et une entraide qui fait chaud au cœur.
Depuis le début du confinement, cette entraide a été plus que jamais vivace ! Chacun à son tour a pu proposer de faire les courses pour les autres, prendre des nouvelles, dépanner, rassurer, encourager. 

Grâce à cela, une forme de tranquillité s’est installée dans notre petit cercle malgré l’actualité anxiogène et, du fait qu’il n’y a eu aucune contamination parmi les résidents, nous avons pu nous détendre et nous sentir à l’abri. Il semblait même, que durant un moment, nous chantions à l’unissons, comme s’il n’y avait plus de partis politiques, de religions, de classes sociales. Nous étions tous réunis sous une même appellation : les confinés de la résidence.