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Dinna Fash Sassenach - Outlander
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La Main à l'Oreille

Journal d'un enfant autiste  

A la frontière de l'autisme,  

sans se perdre  

Il y a 2 ans, j’ai écrit un livre sur notre histoire familiale autour de l’autisme de Théo, mon dernier né. J’y témoignais de l’importance du respect de la singularité, et surtout, de l’attention subtile que nous devons avoir envers ce que nous ne comprenons pas. Je voulais démontrer notre capacité à nous enseigner de la douleur afin de grandir, malgré la tentation de nous recroqueviller dans la peur, et dépérir.
Par tempérament plutôt que par parti pris, j’ai mené ce récit de manière positive, refusant de sombrer dans le pathos malgré la gravité du sujet. Et parce que bel et bien, notre histoire est emplie d’amour et de victoires, je finissais mon livre sur une note on ne peut plus optimiste :
Théo, en grande partie délivré des barrières protectrices mais également contraignantes de son autisme, venait d’intégrer une école spécialisée dans le sud de la France et enchainait les victoires et les projets.

2 ans après, et des centaines de lecteurs m’ayant fait des retours merveilleux, je me retrouve dans un espace trouble. Les progrès de Théo continuent de me rassurer et de m’émouvoir, pour autant, il ne suffit pas de fermer un livre pour que l’histoire s’achève. Il ne suffit pas d’apposer un point final pour contenir les aléas, ni de témoigner sur un écrit passé pour tenir dans le creux de sa main les rênes de l’avenir.
Ce n’est pas la première fois que je constate à quel point il est plus simple d’avancer dans la tourmente que de se maintenir dans l’espace mal défini qui la suit. Et si beaucoup de mes lecteurs m’ont fait part de leur admiration face à mon courage lors des années qui virent l’émergence de l’autisme de Théo, je ne peux m’empêcher de penser que le vrai courage, est celui dont je dois faire preuve aujourd’hui, alors que Théo est parvenu à s’extirper des griffes cruelles du repli autistique.
J’avais encore à dire, mais il me fallait ce temps, avant d’être en mesure de le partager.
Dire sur les deuils, sur les manques, les blancs, les vides. Dire sur la perte et la peur, sur le décalage et la colère. Dire sur ce que cela a chamboulé de l’intérieur et les méandres que l’esprit — mon esprit — à du parcourir afin de me maintenir à flot.
Car il y a eu l’autisme, il y a eu le combat, et d’une certaine manière, il y a eu la victoire. Mais après ? Comment faire pour se "désentremêler" ? Comment faire pour rejoindre la course folle du monde, tout en demandant le respect d’une singularité présente et passée ?
Comment faire surtout, pour naviguer sur cette ligne étroite qui délimite la marge de la page, cette frontière exigüe et si dramatiquement floue entre handicap et normalité ?

Aujourd’hui la peur a changé de visage. Elle est finalement plus sournoise, plus subtile, comme si, elle aussi, s’était enseignée du passé.
Je réalise… je sais… que le bonheur de Théo n’est pas lié à la somme de ses progrès. Peut-être même est-ce l’inverse. Plus il apprend, plus il comprend, et plus il souffre.
Il me le dit souvent, il est nostalgique d’un passé qui le maintenait dans une vie, certes solitaire, mais dépourvue de la conscience de sa différence.
Il y a quelque temps, il m’a avoué souffrir terriblement de sa situation.
- Je suis trop autiste pour les non-autistes, et pas assez autistes pour les autistes, m’avait-il confié en pleurs.
- Je voudrais être moins intelligent pour ne pas savoir.
- Savoir quoi, lui avais-je demandé ?
- Savoir que ça ne s’arrêtera jamais.

De mon côté, depuis tant d’années à le soutenir, à l’accompagner, à porter sa parole et son importance au-delà de notre famille, j’ai laissé en chemin tant de moi que je peine à me reconstruire, à me retrouver. Je me débats quotidiennement entre amour et tristesse, entre espoir et peur, entre projets et fatigue.
Le bilan est tout aussi positif que négatif. Dans l’équilibre d’une vie, il me faut faire ce constat, sans jugement, juste pour dire.
Dire encore.
Peut-être est-ce là le seul fil auquel je peux me raccrocher.
Les mots qui nous ont tous liés, les enfants et moi. Les mots qui furent et sont encore les contours les plus fiables de Théo.
- Parle-moi ! Parle-moi maman ! me suppliait Théo il y a quelques mois alors qu’il coulait littéralement au fond de son angoisse.
Il se raccrochait à mes mots comme un noyé à la main tendue.
Dès lors… comment pourrais-je me taire ?