Menu 

M'écrire
En confinement
Ma page facebook
Dinna Fash Sassenach - Outlander
Wikimonde
La Main à l'Oreille

Le souci, lorsqu’on est parent d’un enfant différent, c’est le perpétuel décalage entre la réalité de notre quotidien et le résultat de nos innombrables combats. 

Le système est à ce point alourdi par son inefficacité, que lorsqu’on a la chance d’obtenir, ne serait-ce qu’un peu de ce qu’on réclame de nos droits fondamentaux, la plupart du temps il est trop tard. 

Les années de nos enfants fragiles passent à la même allure que celles des autres enfants, mais le temps que nous mettons pour obtenir leurs droits, lorsqu’on y arrive, est beaucoup plus lent, ce qui, inexorablement conduit à une douloureuse injustice. Et quelle que soit notre détermination, quelle que soit l’issue du combat, ce temps ne reviendra jamais en arrière. Les années passées ne seront jamais rattrapées. Jamais. 

J'ai un mot en tête  

qui m'obsède : Répit 

 Je réalise, alors que mon fils Théo aborde sa quinzième année, que ce que j’ai obtenu pour lui à force d’un bras de fer acharné et de multiples sacrifices, ne lui convient plus. Dans un an ou deux, cette merveilleuse école associative spécialisée dans laquelle il a pu s’épanouir un moment, ne sera plus adaptée à ses besoins. 

Mais voilà, ce dont il a besoin maintenant, n’existe pas. Il me faut repartir au combat. Il me faut à nouveau relever mes manches. Il me faut à nouveau réclamer, justifier, me battre ! 

Se battre ? Quelle terrible mot lorsqu’il s’agit de nos enfants ! Nous ne devrions parler que d’amour, d’éducation, d’accompagnement ! Nous devrions, nous plus que tout autre, être secondés sur ce chemin particulier. 

Pourtant, alors que nos forces sont déjà terriblement sollicitées par ce que nous vivons à la maison, voilà que nous devenons, par la force des choses, combattants, militants, guerriers… 

  

Depuis quelques années, je souffre de psoriasis. 

Le psoriasis est une maladie auto-immune, c’est-à-dire que c’est mon propre corps qui, en se défendant contre un mal qu’il semble reconnaître, déclenche un mal à son tour. Ici, en l’occurrence, le psoriasis produit un surplus de cellules sensées remplacer celles manquantes. Le processus de remplacement des cellules ne s’arrête jamais et gêne au passage la disparition des cellules mortes, ce qui génère un amas douloureux, une inflammation plus ou moins grande et des démangeaisons insupportables. 

L’absurdité du système médical m’envoie depuis des années vers des dermatologues, alors que les effets produits sur la peau ne sont que le résultat d’un dysfonctionnement sanguin. En effet, c’est un excès de production de globules blancs qui est à l’origine du trouble. Badigeonner les plaies occasionnées avec des crèmes à la cortisone ne fait que camoufler, pour quelques jours, le fond du problème, qui réapparaitra de plus belle dès l’arrêt des médicaments. Pourquoi je vous raconte cela dans les détails ? 

  

Pour deux raisons. 

Tout d’abord parce qu’il m’est impossible de ne pas faire le parallèle entre l’aveuglement de la médecine face à mon problème de santé particulier et celui du gouvernement face à la prise en charge des enfants différents et de leurs familles. Et je refuse de faire semblant de croire que l’un et l’autre sont inconscients du problème réel. 

C’est avec conscience que le gouvernement refuse de mettre en place une politique d’insertion humaine et viable pour les personnes porteuses de handicap, tout comme il est évident que la médecine se lave les mains de nos « petits soucis » de santé en privilégiant la prise en charge de l’effet et non à l’éradication de la cause. 

Apparemment, il est plus rentable pour le gouvernement de balancer à la va comme j’te pousse des enfants fragiles dans un système éducatif déshumanisé, pour ensuite les montrer du doigts, et légitimer, soit une médication qui nourrira le ventre perpétuellement affamé des lobbyings pharmaceutiques, soit une exclusion violente auto-justifiée par un comportement jugé inadéquat, plutôt que soutenir et financer la branche si peu lucrative de la sphère du médico-social qui est pourtant, de toute évidence, la seule apte à s’occuper dignement de nos enfants différents. 

Je me demande comment il est possible de clamer, la main sur le cœur, les yeux dans les yeux, qu’on va tout faire pour que les personnes handicapées trouvent enfin une place digne dans la société et dans le même temps couper toutes les ressources fondamentales aux secteurs qui ont justement à charge ces personnes fragiles ! 

Le médicosocial est étranglé, piétinés, assoiffés. On lui coupe les vivres, on le ponctionne, on le pressurise. On fait de sa vie un cauchemar ! Toutes ces structures et ces professionnels qui accueillent nos malades, nos handicapés, nos exclus… sont à bout de souffle… et le gouvernement continue de se moquer de nous en prétendant haut et fort se préoccuper de nos enfants différents. 

Cela ne peut plus durer ! 

  

La deuxième raison pour laquelle j’ai évoqué mon psoriasis. C’est que depuis qu’il s’est déclenché, il ne s’est exprimé que sur mes pieds et mes chevilles. Nulle part ailleurs sur mon corps pourtant bien fatigué, le psoriasis n’a fait de dommage, alors que sur mes pieds il s’étale, s’épanouit, se propage… 

Là encore, la symbolique me saute aux yeux. 

Je n’en peux plus d’avancer. Avancer à contre-courant. Avancer au jour le jour sur un chemin qui n’existe pas. 

Comme au milieu de la jungle, au coupe-coupe je trace ma route et celle de mon fils. Devant nous ? rien de visible, juste un rêve, juste un désir qui s’exprime à travers d’innombrables embranchements et des pièges multiples. 

Derrière nous ? La jungle se referme et il n’est plus possible de faire marche arrière, ou alors, à quel prix ! 

Quoi qu’il en soit, voilà où nous en sommes. 

Soit on accepte le système, et on se retrouve sur une route goudronnée, sans plus rien autour qui nous est propre, juste l’imbroglio de ce qui nous est imposé. Plus d’humain, plus de chaleur, plus d’espoir. Juste le jeu des puissants qui font de nous des pions. Et lorsqu’on tente de critiquer, on nous balance dans le fossé, avec tout ce qui dépasse. 

Soit on refuse et on se retrouve dans cette jungle à inventer des solutions, à créer des structures, à générer par la seule force de nos convictions un chemin que notre enfant pourra peut-être emprunter, jusqu’à ce qu’on soit à bout de force. Et seuls… Si seuls. 

  

Mes pieds n’en peuvent plus d’avancer. Mes chevilles n’en peuvent plus de me porter. 

Il faut que ça cesse. 

J’ai un mot en tête qui m’obsède. 

Répit.