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La Main à l'Oreille

Les mondes entremêlés de Théo et de sa famille  

par Vilma Coccoz 

Le témoignage récemment publié de Valérie Gay-Corajoud, mère de Théo, sous le titre Nos mondes entremêlés, L'autisme au cœur de la famille [1] constitue un document sans pareil à prendre en compte dans les débats actuels sur les politiques de l'autisme. Construit en dix chapitres, chacun d'entre eux commence par les notes que Valérie a pris depuis la naissance du benjamin de ses quatre enfants, auxquelles s'ajoutent ses réflexions actuelles, fruit d'une élaboration très précise du parcours vital de la famille, des premiers jours de Théo jusqu’à faire face au passage de son adolescence.  

Si l'axiome de la psychanalyse lacanienne dit : Il n'y a pas de sujet sans Autre, nous en trouvons la vérification claire dans cet ouvrage. Il est écrit avec la force de ceux qui peuvent célébrer une victoire dans la bataille contre le réel de l'autisme, c'est-à-dire face au fait de la non-inclusion du sujet dans le monde organisé par les discours établis, provoqué par son refus essentiel d'identification commune, ce qui nous permet de nous reconnaître comme semblables aux autres, dans un monde organisé par des interprétations plus ou moins partagées. 

 

D’emblée, Théo manifesta cette distinction radicale; nouveau-né, il n'aimait pas, à l’inverse de ses frères et sœurs aînés, s'allonger sur le ventre de sa mère. Il pleurait pendant des heures, et rien ne semblait le réconforter. Cette expérience inaugurale et la façon dont Valérie a réagi à cette singularité, fondée sur le respect et la minutieuse attention aux signes de bien-être qui semblaient atténuer la douleur et la détresse de l'enfant, donne une véritable leçon à tous ceux qui, pour une raison ou une autre, sont en situation d'accompagner une personne autiste. Et ce moment émouvant alors que Théo n’a que quelques jours et que, face à la preuve de ses particularités, le conclave familial adopte la devise de l’abnégation : "Le plus fragile de la famille doit être une priorité absolue"[2]. Répété comme une prière ou un mantra, ce slogan encourage la famille à affronter les épreuves difficiles et à transformer leur vie aux côtés de Théo comme un art de vivre. 

 

Le livre détaille la construction des liens entre ce qui devenait : les mondes de Théo, et le monde représenté. Valérie y décrit son attention des signes que lui donnait son enfant. Ceux qui le mettaient en confiance, lui permettaient une certaine proximité, lui apportait un sentiment de sécurité ; et les autres qui pouvaient déclencher des automutilations, des cris, des épisodes de colère et, pire encore, pouvaient le plonger dans un isolement absolu. Elle conclut d’ailleurs, de manière cruciale : "... il y avait toujours une raison pour expliquer ses comportements. Ils compensaient son incapacité à nous dire, ils constituaient son langage. "[ 3] Dans le calvaire des examens et des consultations auxquels Théo était soumis, il ne trouva que rudesse, inclémence, préjugés, insensibilité de la part des "spécialistes" du système.  

 

Ces situations angoissantes témoignent de la violence qui peut être exercée sur un être fragile et impuissant et sur sa famille, lorsque l'ignorance règne et que quelqu'un s’autorise, dans une accréditation, un titre, une fonction et tente de soumettre celui qui ne se plie pas à l'identification commune. Lacan nous a appris à considérer ce refus non pas du point de vue du déficit, mais comme une position subjective qui se manifeste dans un rejet à l'identification que le discours du maître propose comme valable pour tous. Bien qu'un tel rejet ne puisse se produire sans une décision d'être, que Lacan décrit comme insondable dans son texte sur La Causalité Psychique, et qui relativise le déterminisme en faveur d'une possible rectification.Le consentement à l'identification commune, celle qui incorpore la médiation de l'Autre d’où la reconnaissance est attendue, comprend la recherche du signe de distinction, celle qui devient vraie passion du névrosé, qui a l'intention de se démarquer sur un fond de conformité, voulant se distinguer parmi les autres qui font la queue. Une prétention que Jacques-Alain Miller considère comme le principe même de la vie sociale et qu’il résume dans la formule ironique : « je voudrais devenir un poireau pour être filé [faire des chapelets] comme un oignon » [4]  L'aspiration à figurer en tant qu’une exception acceptée dans un ensemble d'éléments similaires.La dissidence au discours commun n’est pas volontaire, et donc elle n’est pas résolue avec des exigences ou des punitions. On ne peut pas forcer, pour cette raison, le traitement destiné à favoriser une transformation de la réponse subjective, ce qui implique une position éthique.  

 

Pour reprendre les mots de Valérie : "On ne se bat pas contre son fils, on l'aide, on le protège, on le soutient". Des changements favorables se produisent quand le sujet se sait logé, accueilli dans un discours qui le prends en compte dans sa particularité, sans lui imposer aucun moule.Le livre de Valérie relate en détail le parcours, jour après jour, de la vie avec son fils autiste, sans oublier les doutes, les questions, les incertitudes qui assiégeaient son esprit, mais toujours attentive à ce qui pourrait perturber un équilibre instable, comme si une épée de Damoclès menaçait constamment, qui amènerait Théo à se perdre encore une fois.Le chemin de Théo, du repli autistique à la conquête de la parole, bien que lent et plein d'obstacles, a été cadencé par des moments de bonheur et de plénitude, de victoires et de découvertes.  

Et puis un jour, Valérie estima qu’il était important de s'aventurer vers un changement, auquel Théo a pu consentir avec souplesse, celui de se joindre à une école spécialisée où sa singularité serait respectée et où il a pu alors consentir à l'espace commun en étant apte à s’identifier au sein des autres. Théo et Valérie vivent maintenant à Montpellier, près de la mer, où il peut s'immerger sans crainte, et où Valérie a également pu prendre soin de ses affaires, entre autres, la formation de professionnels dans le soin des personnes autistes.Son livre est une contribution exceptionnelle à la bataille de l'autisme que nous connaissons. Elle y témoigne sur plusieurs fronts, des profondeurs de l'expérience subjective et familière, à la conception de la politique démocratique et face auxquelles la construction d’un discours perméable aux découvertes et aux inventions est fondamentale. 

 

 

 



 

Vilma Coccoz, psychanalyste à Madrid, membre de l’école Lacanienne de Psychanalyse et de l’Association Mondiale de la Psychanalyse. Enseignante à l'Institut du Champ freudien. Responsable de l'Observatoire sur la Politiques de l'autisme de l’EuroFédération de la Psychanalyse. 

 

 

  

Traduction : Marlith Pachao, Révision : Valérie Gay-Corajoud   

 

  

[1] Valérie Gay-Corajoud, Nos mondes entremêles. Témoignage. Ses écrits et témoignages sont regroupés sur son blog :  http://valerie.gay.corajoud.free.fr/Pour commander le livre : valerie.m.gay@gmail.com 

[2] Nos mondes entremêlés., cit., p.20.  

[3]Nos mondes entremêlés.,cit. p. 53. 

[4] Jacques-Alain Miller, Les signes de plaisir. Paidós. Buenos Aires. 1988. P. 18 

Parce que j’ai écouté attentivement l’intervention de Valérie Gay-Corajoud, lors de la journée du CERA (Centre d’Étude et de Recherche sur l’Autisme) le 10 mars 2018 sur le thème : Autisme et parentalité, j’ai eu envie de me plonger illico dans ses livres. Et je ne l’ai pas regretté. La lecture est fluide, enseignante, revigorante. 

  

Mère d’un enfant souffrant d’autisme, Valérie Gay-Corajoud a dû mettre entre parenthèses sa vie de musicienne professionnelle (et beaucoup d’autres choses) pour l’entourer à chaque instant et tenter d’établir une passerelle entre les mondes. 

Après « Autre chose dans la vie de Théo »[1], un album illustré qui raconte le quotidien d’un enfant autiste vu par les yeux de son dinosaure préféré, son nouveau livre, Nos mondes entremêlés – L’autisme au cœur de la famille, est écrit alors que Théo aborde l’adolescence et est, depuis peu, scolarisé dans une école spéciale où il s’épanouit. Mais quelle aventure pour en arriver là, depuis la suspicion d’autisme, l’errance diagnostique, la vie familiale bouleversée par les crises et les rituels, le monde médical et éducatif qui a bien du mal à prendre en compte la spécificité de ce petit bonhomme, etc. 

Nos mondes entremêlés – L’autisme au cœur de la famille de Valérie Gay-Corajoud  

lu par Françoise Guérin 

  

L’auteure a choisi de faire un récit chronologique particulièrement précieux par sa constitution même. En effet, dès la maternité, elle remarque que Théo ne se présente pas comme ses frères et sœurs aînés. Et elle se met à écrire, comme elle l’a fait, déjà, pour ses autres enfants. Lui écrire pour lui raconter ce qu’elle perçoit, ses questions, son état d’esprit de mère. 

  

« Tu t’es enfin endormi. Je ne comprends pas bien ce qui se passe. J’ai renoncé à te porter tant cela paraît te déranger. Mais j’en souffre, si tu savais ! Est-ce que, déjà, tu n’aimais pas être dans mon ventre ? Pleurais-tu sans que nous puissions t’entendre ? »[2] 

  

Ces lettres datées constituent une observation très fine de ce qui peut se manifester précocement chez un sujet autiste. Elles s’accompagnent d’un récit actualisé, enrichi par la réflexion et les effets d’après-coup. Ainsi, ce qui faisait énigme s’éclaire de la répétition. Peu à peu, se dessinent les contours de l’autisme de Théo : son rapport au monde, à l’autre, aux objets, à la nourriture, au temps, à son corps, au langage, etc. La mère de Théo décrypte pour nous ses comportements, nous permet d’entrevoir combien ils lui sont utiles pour circonscrire l’angoisse térébrante qui l’habite et surgit à chaque fois que l’univers bouge autour de lui. Et elle s’étonne que certains professionnels, justement chargés de poser le diagnostic d’autisme, ne puissent tenir compte de ce qui, pour cet enfant, est affaire de survie. Cela va l’amener à refuser les approches comportementales non respectueuses du sujet… et à chercher d’autres voies pour aider Théo. Ainsi choisit-elle de prendre appui sur ce qui l’intéresse et lui est accessible : les dessins animés, les jeux vidéo, les animaux, la petite caméra qui médiatise son rapport au monde, etc. 

  

Par ses tâtonnements de mère attentive et soucieuse de respecter la singularité de son enfant, Valérie Gay-Corajoud met en place, tout naturellement, ce que d’autres appelleront bientôt du nom d’Affinity therapy. 

  

Deux livres utiles quand on reçoit des enfants concernés par l’autisme. Autre chose dans la vie de Théo est désormais à disposition des familles dans ma salle d’attente. 

 

  

Françoise Guérin 

 

Texte original 

Le savoir des parents 

  

Le livre de Valérie Gay-Corajoud, Nos mondes entremêlés, est à découvrir et à lire d’urgence. Nous y découvrons un témoignage poignant et fort d’une mère d’enfant autiste, comme son combat pour faire reconnaître et respecter l’autisme de son fils Théo. La particularité et l’intérêt de ce livre réside dans la grande précision et justesse du ton utilisé. Valérie Gay-Corajoud a toujours aimé écrire. Déjà mère de quatre enfants lorsque Théo est né, elle écrit dans son journal ses sensations, ses doutes, ses craintes, ses questions. Son livre entremêle donc le récit de son histoire avec Théo avec des morceaux de son journal qui sont des extraits des moments les plus marquants de son lien qui se tisse peu à peu avec Théo. 

  

Désapprendre ce que l’on croit savoir 

  

Dès les premiers jours de Théo, elle remarque que quelque chose ne se passe pas comme avec ses autres enfants, elle ressent très vite une différence et l’écriture représente une passerelle entre elle et lui. Très attentive, elle remarque tout de suite quelque chose de particulier en lui. Elle est « en alerte ». Il pleure sans arrêt, refuse de manger, d’être touché, ne supporte ni les bras, ni la voix. Elle est tout de suite sensible à sa souffrance. « Lorsque je le portais, il se rejetait en arrière, en battant des bras, comme s’il perdait l’équilibre. » « Il réunissait toutes ses forces disponibles pour me repousser. » « J’ai eu ce sentiment quasi immédiat et particulièrement douloureux que ma proximité le paniquait. Que se passait-il ? » Théo repousse tout, il repousse le monde, le biberon, la main, le drap… « Je tentais de faire taire en moi une inquiétude sans nom » écrit-elle dans son journal. « Je voyais un bébé, mon bébé […] qui nous tenait à distance par la seule force de sa volonté. » 

  

Dès le début, Valérie Gay-Corajoud l’a beaucoup regardé, observé pour comprendre son monde et éviter le plus possible ses « crises ». Les réactions de Théo sont une énigme : « il m’a fallu désapprendre ce que je croyais savoir, me défaire de certaines certitudes. » Elle s’occupe de lui et se tait, n’ose pas nommer l’angoisse qui monte, va sur internet en quête d’informations. Sa question : « est-il dans la norme ? » chute vite. Elle décide de l’accueillir comme il est, de ne pas le comparer aux autres enfants de son âge. C’est un choix, une décision de sa part : elle fait le pari que Théo a quelque chose à lui apprendre et elle se laisse enseigner par lui. 

  

Lors des premiers mois de Théo, c’est une suite permanente « de chaud et de froid, d’espoir et de désespoir, de désir et d’abandon, d’énergie et de fatigue. » Elle et sa famille, sa fratrie, sont très patients, attentifs et sensibles. Ils espèrent que ce ne soit pas si grave, se disent que ce ne sont peut-être que des petits détails : « une manière de se raidir au contact, de détourner la tête lorsque l’on s’approchait de lui, de regarder « à travers nous », de ne pas répondre à nos sourires, ni à l’appel de son nom. » Elle l’observe et se pose mille questions qui l’empêchent de dormir. Les médecins ne voient qu’une mère angoissée et banalisent les choses alors qu’elle remarque « ses yeux perdus dans le vague, son corps absent, une tendresse à sens unique. » 

À sept mois Théo est un enfant sérieux, souvent silencieux, et souvent colérique. Dans son journal, elle écrit : « tu m’obliges à tout réapprendre. » Ce sont des moments douloureux et le sentiment d’une immense solitude accompagné de l’impression d’être transparente. 

Les rituels, nombreux, qu’il met en place, sont à la fois vecteurs de sérénité mais aussi prison : « comme une solution qu’il avait trouvée pour calmer des angoisses existentielles que nous ne parvenions toujours pas à décoder. » 

  

La découverte du système 

  

Aux deux ans de Théo se produit une cassure : il se brûle la main sur le chauffage et réagit par une panique terrible. C’est la première fois alors qu’ils parlent, en famille, de ce qu’ils perçoivent depuis deux ans et qu’ils n’osaient pas exprimer. Le mot d’autisme est prononcé. Après avoir vu Théo « débordé par la peur et l’incompréhension », ils ne peuvent plus se masquer la vérité. Suite à ce traumatisme, Théo s’enferme dans un silence, dans un mutisme grandissant. 

C’est ensuite la cohorte des spécialistes, des médecins, la découverte du système. Un nouveau combat commence : celui pour protéger son fils « dans toute sa particularité, son unicité, sa fragilité. » Elle sait combien le monde extérieur est un cauchemar pour Théo et combien celui-ci a besoin d’être accompagné pour le supporter – mais les médecins ne lui supposent aucun savoir. Souvent jugés, parfois accusés d’être des parents qui ne savent pas éduquer leur enfant, la rencontre avec le monde médical les laisse toujours aussi seuls et désemparés. 

Ce fut une période difficile, ponctuée de beaucoup de cris, de pleurs, de souffrance pour Théo. Les pleurs en voiture, par exemple, sont un enfer. Un jour elle comprend que c’est parce qu’il ne peut pas voir la route : elle le place autrement, il gazouille. « Ce fut un moment capital car il nous rappelait qu’il y avait toujours une raison pour expliquer ses comportements. Ceux-ci compensaient son incapacité à nous dire, ils constituaient son langage. » Ils décident d’être encore plus attentifs au monde de Théo, d’essayer de le comprendre, pour pouvoir y entrer un peu. 

C’est une période de souffrance pour toute la famille car il hurle beaucoup et ne parle presque plus. Les professionnels rencontrés manquent de tact et Théo se renferme totalement dans son autisme dès qu’il est brusqué. Ils ne tiennent pas compte de son savoir y faire avec Théo. « Je ne cherchais plus à le sortir de son état à tout prix, je voulais seulement le protéger. » Elle constate que ses troubles s’accentuent avec le monde extérieur, une source de stress. Pendant une année elle est écartelée entre la pression sociale et le bien être de Théo. Dans son journal, elle note : « Tu ne parais pas si malheureux dans ce monde solitaire que tu as bâti. Et si j’acceptais cela ? » « Comprendre ton monde, et non pas te ramener de force à nous. » 

  

La bataille pour faire respecter le droit à la singularité 

  

« Il avait des bleus, des marques de morsure, il s’automutilait. » Lorsqu’il se frappe, elle fait l’hypothèse que sa violence veut dire quelque chose, qu’elle ne lui est pas adressée à elle. Elle décide de ne pas écouter certains conseils comme : « tournez la tête quand il se frappe, pour qu’il voit que ça n’a pas de prise sur vous ». (Sic !) Elle y voit la marque de sa grande détresse – que les autres n’existent pas pour lui – et non pas qu’il se comporte comme un enfant gâté qui veut attirer l’attention sur lui. « Les approches comportementales ne nous plaisaient pas du tout, elles ne répondaient pas à nos questions. » 

À trois ans c’est un tournant : La rencontre avec Kirikou et la sorcière va tout changer. Il prononce des sons, après des mois de mutisme. Puis, peu à peu, il invente une langue que sa famille apprend à comprendre, à traduire. « La vie commence à s’agencer, grâce à ce langage. » L’appui sur un objet, le T-Rex, nommé Autre chose, devient possible, pour faire pont entre lui et le monde extérieur, « comme un compagnon, un guide, un lien permanent entre le monde et lui ». 

  

La bataille avec les spécialistes, par contre, est dévastatrice. Pour être diagnostiqué autiste, Théo doit passer des tests cognitivistes qui le mettent en miette. « Ces tests qui s’appuyaient sur des techniques comportementales n’avaient jamais pris en compte les particularités propres de Théo, pas plus que la manière dont nous l’avions éduqué et entouré. » Aucune tentative de comprendre qui était Théo, ils lui imposaient une proximité physique que Théo ne pouvait pas supporter et que ses parents avaient toujours veillé à respecter. Ils arrivaient avec un savoir déjà là, des préjugés, des idées toutes faites. Ce moment fut tellement traumatique que les parents de Théo décident d’interrompre les tests et s’insurgent contre leur inhumanité. Double traumatisme lorsque ce médecin finit par refuser de valider le diagnostic de Théo, après des mois d’attente et de souffrance. « Ces méthodes venaient de nous prouver une fois de plus leur violence, leur irrespect, leur inflexibilité et leur incompétence. » 

Elle prend alors la décision de continuer seule auprès de Théo, avec son éthique, et dans le respect de la singularité de son fils. C’est le début d’un apaisement pour Théo et de son apprentissage du langage, favorisé par une nouvelle révolution dans la vie de Théo : l’ordinateur. Son langage devient de plus en plus reconnaissable et il commence à mieux prendre conscience du monde qui l’entoure. Les progrès de Théo sont pour sa mère sa plus belle réussite et sa récompense pour sa manière d’être et de faire avec lui. 

  

Un nouveau départ 

  

« Nous étions parvenus à ce que nous rêvions pour lui, c’est-à-dire non pas faire disparaître des comportements considérés comme anormaux mais l’aider à vivre sans se perdre à travers son autisme. » 

Elle nomme ainsi son désir de mère pour Théo : « Qu’il soit lui-même ». Elle souhaite que soit respecté son altérité, son autisme. Pour cela, elle fait des choix particuliers pour lui : comme celui de le scolariser à domicile, d’être sa maîtresse. Elle ne se prétend pas un exemple, ou un modèle à généraliser pour d’autres mères. Elle témoigne de ce qui a eu lieu pour elle. Et des progrès considérables de Théo pour se construire un monde vivable, un monde où l’autre existe et peu s’absenter. 

À sept ans, alors que ses frères et sœurs s’en vont, il parvient à dire que « c’est dur de voir partir les gens que l’on aime », alors qu’auparavant il hurlait et se mutilait. « Des mots et des larmes sur ta souffrance, quel pas de géant » note sa mère dans son journal. Théo apprend à lire, à écrire. « Les rituels étaient les piliers de la vie de Théo, comme des marqueurs de temps et d’espace. Malgré ses progrès, il en était comme prisonnier. » 

Théo s’aide alors de la caméra pour découvrir le monde. Valérie Gay-Corajoud a la finesse de comprendre que ce qui l’intéresse, ce ne sont pas les vidéos réalisées, ce n’est pas le résultat de ce qu’il filme. C’est le fait même de filmer le monde qui introduit une possibilité de se décaler du monde, de le maîtriser un peu. « Ce qui compte pour toi c’est de regarder le monde à travers ton petit écran, comme si tu avais trouvé là un moyen de le mettre à ta portée, de le dompter, de mieux le comprendre. » « Quand nous sommes rentrés, j’ai voulu regarder ce que tu avais filmé. La carte mémoire était vide. » 

  

Sortir de la solitude 

  

Aujourd’hui le froid des montagnes, la solitude, et le silence font place peu à peu à autre chose. Le déménagement dans le sud inaugure le début d’un rapport plus joyeux à la vie, grâce à des rencontres qui reconnaissent et accueillent la singularité de Théo, son rapport particulier au monde et aux autres. La rencontre avec l’association La Main à l’Oreille, avec la psychanalyse, aide et encourage la mère de Théo à faire entendre sa voix, à être fière de ses choix et à oser prendre la parole pour défendre une conception humaine de l’autisme. 

  

Solène Albert 

 

Texte original  

 

Qu’il soit lui-même

 

     Par Solenne Albert