Afin de s’extraire d’un drame ayant ébranlé sa famille, Lilly quitte Brest, sa ville natale, afin de s’installer à Abondance, petit village haut perché de la Haute-Savoie. Là-bas, elle entretient une correspondance avec Zoé, sa sœur jumelle ayant refusé de la suivre.

 Petit à petit, les deux jeunes femmes dressent un plan afin d’extraire leur plus jeune frère, attardé mental, de l’imbroglio familial dont il continue de faire les frais.

À Brest, le 27 avril 2022

Lilly,

 Abondance ?

J’ai consulté le net afin de me renseigner sur ce village. Que t’est-il passé par la tête ?

J’avais bien compris ton besoin de prendre le large, mais je n’avais pas réalisé à quel point. 1000 kilomètres Lilly ! J’ai pleuré toute la matinée tant cette toute nouvelle m’a peinée.

C’est pour décourager les curieux, écris-tu… Et moi ?

Je fouille dans ma mémoire une phrase de toi qui m’aurait préparé à cela. Quelque chose que je n’aurais pas entendu, ou mal interprété.

Mais qu’est-ce que cela change finalement ? Tu ne veux plus d’eux, ils ne veulent plus de toi. C’est bien plus dramatique qu’un nombre de kilomètres, quel qu’il soit.

Je vais essayer de me taire, pourtant ils me questionnent. Tu les connais. De toute façon, qui pourrait croire que nous ne sommes plus en contact ?

Maman tente un peu tout, les larmes, la colère, l’indifférence. Je ne vais pas t’apprendre son fonctionnement. Lorsque je me sens faiblir, je me remémore à quel point cela pouvait t’énerver de la voir agir ainsi.

Il y a deux jours, nous nous tenions dans sa cuisine, toutes les deux. Elle voulait absolument à me montrer son nouveau percolateur, un engin monstrueux à 900 euros. La machine est à ce point bruyante qu’elle ne peut pas s’en servir le matin, de peur de réveiller Papa. Incapable de se passer de café au petit déjeuner, elle a gardé l’ancienne. Si tu avais été là, nous aurions pu en rire toutes les deux, mais là, seule face à cette situation ridicule, j’avais envie de pleurer. C’est bête, non ?

Bref, je « m’égare sévère » comme tu te plairais à me le faire remarquer.

Donc, nous buvions ce café tandis que Maman évoquait ses désirs pour les vacances d’été. Au bout d’un moment, je ne l’entendais plus vraiment. J’avais la sensation que tu te trouvais dans la cuisine, avec moi. Plus exactement, j’avais l’impression que tu étais en moi. J’étais nous deux, tu vois ce que je veux dire ? J’ai l’ai regardé avec tes yeux, je l’ai écouté avec tes oreilles et j’ai mieux saisi pourquoi, malgré ton amour pour elle, tu ne la supportais plus.

Tu dois me prendre pour une folle, mais l’espace que tu as laissé est trop vide, trop grand, trop douloureux. Alors je le remplis, en investissant ta place.

Voilà où j’en suis Lilly.

Pour la première fois depuis 27 ans tu n’es plus à mes côtés et, même si je comprends pourquoi tu préfères t’en tenir à des courriers, parfois je te déteste de m’interdire de t’appeler.

Je t’imagine dans ton chalet… Que vas-tu devenir ? Une sauvage ? De quoi vas-tu vivre ? Qui vas-tu rencontrer ? Qui veillera sur toi ?

Je t’aime ma sœur chérie. J’ai besoin de l’écrire. Je t’aime.

Je t’embrasse

Zoé.

18 avril 2022, Abondance… Haute-Savoie.

Chère Zoé,

Comme promis, je t’écris depuis mon nouveau chez moi. Tu vois ! Tu n’avais pas à t’inquiéter ! Je n’ai pas mis plus d’un mois depuis mon départ pour dénicher un lieu de vie paradisiaque.

Il en aura fallu des larmes et du courage pour parvenir à me dégager de la famille ! De toi surtout. Tu comprends, n’est-ce pas ?

Je sais, tu as pris l’habitude de me protéger depuis notre enfance. Bien souvent, je me suis demandé de quoi tu tentais de me préserver. De moi-même ? De nos parents ? Du monde entier ? Te méfiais-tu de Dorian déjà ? Impossible ! Comment aurais-tu pu te douter ? Enfant, il était si gentil.

Comme tu peux le constater grâce au cachet de la poste, je n’ai pas lésiné sur les kilomètres. Quitte à partir, autant mettre un écart suffisant pour décourager les curieux. 1000 kilomètres et des broutilles, tu réalises ?! Je ne savais même pas qu’il pouvait y avoir une telle distance d’un point à un autre de la France.

Quoi qu’il en soit, je vous laisse à votre océan chéri. Dorénavant, j’évoluerai dans le paysage montagnard. De ma fenêtre ce matin, j’ai repéré un animal, peut-être une biche. Je n’y connais pas grand-chose, mais je me suis promis de vite apprendre. Je veux me fondre dans le décor. 

Je change de peau, de corps, de pensée. J’éclos. N’est-ce pas merveilleux ? Je m’offre une seconde naissance. Non pas celle programmée par un couple plus ou moins apte à élever des enfants, mais celle dont j’ai choisi la date, l’emplacement et les raisons mêmes de son existence.

Zoé, ma chérie, ma sœur adorée. Ce n’est pas toi que je quitte. Ce sont eux. Eux tous. C’était devenu évident depuis des mois. La preuve ! Tu m’as si peu retenue.

Je ne saisis pas entièrement les raisons qui te poussent à les supporter, mais je respecte ta décision. Je connais ta bonté, tes valeurs, ta grandeur d’âme. Je te les ai toujours enviées. Et puis il y a Ezéchiel. À lui seul, il équilibre tout le reste, je le conçois.

Un jour, nous comprendrons peut-être l’explication de nos différences. Nous avons passé 9 mois côte à côte dans le ventre de maman et pourtant, regarde-nous ! Je me suis installée dans ce village, tout en haut d’une montagne, près de la nature et de la lumière pour cette raison… afin d’être éclairée… comme toi.

Je te laisse pour aujourd’hui. J’ai des cartons à vider, des meubles à monter et des courses à faire pour remplir mon frigo. J’ai une terrible envie de bière et de lasagnes. Je te parlerai bientôt de ce petit chalet que j’ai déniché, dans lequel je vais me reconstruire.

N’oublie pas ma chérie. Des courriers postaux, uniquement, tu te souviens ?

Ni mail ni téléphone. Seulement des mots couchés sur du papier… Personne ne doit savoir où je suis. Je t’en demande beaucoup. Peut-être trop.

Je t’embrasse fort.

Lilly.

Mille Kilomètres plus à l'Est 

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